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LE FANTÔME.

l’acheteur des meubles m’avait remis, et, quand ce fut fait, je sentis qu’entre la mort et moi, il n’y avait plus rien.

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Paris, 8 mai.

… J’en suis à la dernière station de mon calvaire. Je vais me tuer. J’ai passé ces nuits-ci à détruire tous les papiers qui ne devaient pas rester après moi. J’ai brûlé ce que je devais brûler. J’ai écrit à M. d’Andiguier la lettre que je devais lui écrire et classé pour lui les feuillets déchirés de ce journal qui peuvent plaider un jour, non pas pour moi, mais pour ma douleur, si la vérité était jamais sue d’Éveline. Je n’ai eu qu’un moment de faiblesse, le dernier, quand je suis allé l’embrasser dans son lit, et que j’ai vu ses yeux et son sourire. Et puis, j’ai regardé le portrait d’Antoinette, de l’autre côté de ce lit. L’évidence des suprêmes, des irrévocables raisons qui me commandent de mourir était là, tout entière, dans ces deux visages, celui de la vivante et celui de la morte, à côté l’un de l’autre. Je leur ai, à cette minute dernière, dit adieu à toutes les deux, en demandant à la Cause inconnue, si cette Cause peut avoir pitié, que ma mort soit l’expiation et que jamais, jamais, la fille ne sache ce que la mère a été pour moi. Encore quelques instans, et je ne sentirai plus… Ah ! quel repos !…


Paul Bourget.

(La dernière partie au prochain numéro.)