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ordres depuis longtemps donnés, les moyens manquaient. « Le général Bollemont, qui a eu hier une conférence avec le général Jourdan[1], me charge de vous mander qu’il croit que le Comité de Salut public est trompé sur l’effectif de l’armée de Rhin-et-Moselle, que cette année, depuis que les divisions qui étaient sous Mayence sont réunies à celle de Sambre-et-Meuse, est réduite presque à rien, puisqu’il n’y a que trente-cinq mille hommes sous les ordres de Pichegru, qui s’étendent jusqu’à Strasbourg ; qu’il lui semble que l’armée des Alpes, qui ne doit pas tarder à prendre ses quartiers d’hiver, pourrait se porter sur le haut Rhin, et par ce moyen l’augmenter, que sans cela il est impossible de rien entreprendre. Il paraît que l’échec qu’elle a reçu dernièrement ne provient que du trop peu de monde qu’il y avait. »

C’est ensuite Jourdan lui-même qui tient un langage analogue. Le 7 septembre, il a passé le Rhin à Ordingen et il est parvenu à prendre position sur la rive droite. Mais, une fois là, il est empêché de se mettre en marche par suite des souffrances de son armée, du progrès de la désertion, du travail des familles sur les volontaires. « J’ai à peine trente-cinq mille hommes. Il me manque trente mille chevaux pour les besoins de l’artillerie et de l’administration. » Le 18 octobre, vaincu par les difficultés qui l’assaillent, « et pour ne pas compromettre l’armée qu’il commande, » il se décide à repasser sur la rive gauche.

Observons en passant qu’à ce moment, ce n’est pas sur Pichegru, qu’on accusera un jour de ne l’avoir pas soutenu, qu’il fait peser la responsabilité de sa reculade. Il l’attribue uniquement « au défaut de subsistances et de chevaux, » c’est à Pichegru qu’il le déclare. S’il a perdu confiance, « c’est que le déplorable état de l’armée, avouera-t-il le 24 décembre au ministre de la Guerre, ne permet pas d’attendre de grands succès. » Il est bien vrai qu’à ce moment, la misère fait rage. Nous en avons pour garant le pur, l’héroïque Marceau, qu’à quelques semaines de là, une mort glorieuse va faucher dans sa fleur. Il commande l’aile droite de Sambre-et-Meuse. Le 19 décembre, il mande à son général en chef : « Les vivres nous manquent et, en vérité, nous sommes bien malheureux.

  1. C’est Kléber qui, sous les ordres du général en chef de Sambre-et-Meuse, commandait les opérations du siège de Mayence, bien que les troupes assiégeantes eussent été détachées, pour la plus grande partie, de l’armée de Rhin-et-Moselle.