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de son infortune, ses relations plus ou moins avouées avec les puissances coalisées, sa participation, au complot de Cadoudal, et enfin son trépas mystérieux et tragique, n’étaient pas pour le relever de la condamnation qui l’avait frappé. Ni de son vivant, ni après sa mort, il ne s’en est relevé.


II

De l’armée de la Moselle et de celle du Rhin, le Comité de Salut public, au mois de mai 1795, s’était décidé à n’en former qu’une seule dite de Rhin-et-Moselle. Il en avait donné le commandement à Pichegru, et, tandis qu’il mettait Moreau à la tête de celle du Nord, il plaçait celle de Sambre-et-Meuse sous les ordres de Jourdan, le vainqueur de Fleurus. Le même décret stipulait que, si la réunion de ces trois années devenait nécessaire au cours de la campagne, c’est Pichegru qui en serait le général en chef.

Pichegru avait alors trente-cinq ans. « D’une vertu élevée, dit de lui Hyde de Neuville, un peu farouche, étrangère même aux compromis, il était, comme citoyen, contraire à son gouvernement. Mais, comme général, il n’a jamais transigé, même en pensée, avec les règles du devoir, de l’honneur militaire et du patriotisme, qui n’admettent aucune faiblesse ni concession à l’égard de l’étranger, alors même que celui-ci peut seconder vos desseins. » De son côté, Barbé-Marbois, dont la loyauté ne mérite pas plus le soupçon que celle d’Hyde de Neuville, a écrit : « Il est peu communicatif. Mais je l’ai déjà assez vu pour reconnaître en lui de hautes qualités. » Il arrivait de Hollande chargé ; de lauriers, objet de l’admiration universelle, et d’autant plus honoré qu’il venait de refuser la magnifique pension que les Etats-généraux du pays qu’il avait nui à la République étaient disposés à lui voter. Chargé, à son court passage à Paris, lors des émeutes de germinal, de la défense de la Convention, et l’ayant préservée des fureurs populaires, il avait reçu d’elle le titre de Sauveur de la patrie. C’est donc à l’apogée de la gloire et comme couronné d’une auréole qu’il prenait possession de son commandement.

L’armée de Sambre-et-Meuse opérait sur le bas Rhin, ayant en face d’elle, sur la rive droite du fleuve, le général autrichien Clairfayt, dont les troupes s’échelonnaient de Dusseldorf à Mannheim, leur centre à Mayence qu’assiégeaient les Français sur la rive