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trouvé dans un fourgon des papiers très compromettans pour Pichegru. Étonné que Moreau eût attendu plus de quatre mois pour faire part au gouvernement de cette importante découverte, le Directoire, désirant des explications, le manda à Paris.

La conduite de Moreau en cette circonstance ne fait honneur ni à son caractère ni à ses sentimens. On le voit d’abord soucieux de ménager son ami Pichegru, oublier ensuite tout à coup les services qu’il en avait reçus, et, saisi de peur, tremblant pour lui-même, l’accabler sous des accusations qui n’avaient d’autre base que les papiers trouvés dans les fourgons de Klinglin, base aussi peu solide que le récit de Montgaillard. C’est bien le 21 avril qu’ils étaient tombés en son pouvoir. Ce jour-là, l’armée française avait accompli un prodige en passant le Rhin sous le feu de l’ennemi, après une lutte de trente heures, durant laquelle celui-ci s’était efforcé « de la culbuter dans le fleuve. » Il existe sur ce glorieux combat, qui se termina par la défaite des Autrichiens et les contraignit à signer la paix, un rapport enflammé du général Vandamme à qui était échu le commandement des troupes, Desaix et Duhesme ayant été blessés tour à tour, l’un à la jambe, l’autre au bras.

Vandamme raconte la déroute des Autrichiens fuyant éperdus devant la furia française : « Nous allons jusqu’à Offembourg… A chaque pas, on prit par cent et par quatre cents prisonniers, des drapeaux, des canons et d’immenses convois de bagages. Rien ne peut nous arrêter, pris Offembourg. Le général comte Orély fut pris, tout l’état-major de l’armée, plans, caisses, correspondance, administration et postes. Rien ne nous échappa. » Le même soir, du champ de bataille, le major général Reynier écrivait à Desaix : « Nous regrettons bien, mon cher général, que vous n’ayez pu participer au spectacle de la déroulte et à la poursuite des Autrichiens. Vous auriez bien joui. Nous vous enverrons toute la correspondance du général Klinglin, qui a été trouvée ici, et autres papiers intéressans. »

Cette correspondance consistait en un grand nombre de pièces épistolaires, chiffrées pour la plupart, ayant pour auteur les nombreux émissaires qu’employait le prince de Condé à ses opérations diplomatiques, et signées du sobriquet que, pour rendre impénétrable le mystère de leurs intrigues, ils se donnaient entre eux : Demougé dit Furet et Fenouillot dit Robert, avocats à Strasbourg ; Viltersbach dit Lindor, ancien procureur en Alsace,