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mort d’Antoinette. Ils ne l’ont donc jamais connue, et, si quelqu’un les interrogeait, ils n’auraient rien à dire, sinon que je suis venu là de temps à autre, m’enfermer pendant des heures, et toujours seul. Mais, depuis que je songe sérieusement à me tuer, je ne veux pas qu’une pareille indication puisse jamais être donnée aux recherches qu’Éveline essaiera de faire sur les causes de ma mort, si je meurs ainsi de ma propre main. J’ai donc arrêté de supprimer pour toujours cette dernière trace de ce qui fut ma meilleure part de joie ici-bas. L’exécution d’un pareil projet, se réduit, en fait, à des actions bien simples, mais que leur brutalité est cruelle avec certaines dispositions du cœur ! Quitter un logement dans des circonstances comme celles où je quittais celui-là, c’est avoir des rapports avec tant de gens dont il est si dur d’associer la personnalité à une besogne que l’on voudrait respectueuse et muette comme une cérémonie pieuse. Discuter un arrangement avec un tapissier pour qu’il emporte tous les objets, romanesquement disposés jadis dans ces pièces que ses ouvriers vont déshonorer, quelle mortelle ironie quand on a dans l’âme tout le tremblement d’un adieu à ses plus doux rêves !… Il y a un an à peine, je ne me serais pas cru capable de procéder à cette profanation, sans un déchirement. Je viens d’y vaquer avec cette espèce de calme automatique qui est celui des survivans dans les apprêts des convois funèbres. Certes, l’opération a été affreuse. Je l’ai accomplie sans hésiter, sans m’y reprendre, et, à la seconde actuelle, je ne dirai pas que cette dispersion de ces chers meubles ne me soit pas très douloureuse, mais je n’ai pas un regret, et je recommencerais demain, si c’était nécessaire, aussi calmement, aussi froidement.

L’affaire a duré doux jours. Le plus pénible fut hier, quand il m’a fallu aller jusqu’à l’appartement et le revoir, après tant de jours. Je me fis conduire en voiture, jusqu’à l’église Saint-François-Xavier. Je laissai là mon coupé et je marchai, comme autrefois, par l’avenue et la place de Breteuil. L’aspect du quartier n’a pas beaucoup changé depuis l’époque où je suivais ces mêmes trottoirs, sous ces mêmes grêles platanes, pour me rendre dans le cher asile. C’est toujours ce même coin, un peu incohérent, du bord du faubourg, avec des bâtisses inégales, d’humbles boutiques, et, à l’horizon, le dôme doré des Invalides, qui prend au couchant des reflets rosés. Une grande construction neuve, à l’angle de la place, dressait ses six étages encore in-