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pays et de leur bon renom dans le monde, passeraient outre à cette opposition tardive, et signeraient le papier convenu, au risque d’y perdre leur tête. Le geste est beau assurément : toutefois, s’ils signent sans en avoir l’autorisation définitive, à quoi cela nous servira-t-il ? On assure que le second édit a été inspiré par un vice-roi mécontent, et que d’autres se joindraient déjà à lui : on nomme ces derniers, ce sont ceux qui se sont montrés jusqu’ici le plus favorables aux étrangers. La vieille impératrice serait prise de scrupules. Mais, en tout cela, il n’y a rien de certain, et les nouvelles de demain peuvent démentir celles d’aujourd’hui. Il en sera ainsi jusqu’à la fin des négociations, et peut-être même après. Attendons-nous à ce que le gouvernement impérial, s’il accepte tout en bloc, discute chaque point en détail avec la ténacité et la ruse dont il est coutumier. Nous ne sommes pas encore au bout de nos peines.

La Russie seule, jusqu’ici, a tiré quelque avantage de l’imbroglio d’Extrême-Orient, et ce n’est pas en rudoyant la Chine, mais bien en la ménageant. Elle a rappelé ses troupes de Pékin et s’est installée, — provisoirement, — dans la Mandchourie : il y a des chances pour que ce provisoire dure quelque temps. Un récent arrangement vient de le régulariser. L’opinion anglaise en a manifesté tout d’abord quelque mauvaise humeur, puis elle s’est tue. L’Angleterre est occupée ailleurs en ce moment. Elle est, non plus au Transvaal, mais dans sa colonie du Cap envahie par les Boers, en face de difficultés plus grandes que jamais. Quant à son traité avec l’Allemagne, il ne saurait lui servir à quoi que ce soit en l’occurrence, et les journaux allemands le lui ont déclaré en termes très catégoriques. L’Allemagne n’a pas d’intérêts en Mandchourie, la France en a encore moins : or, l’Allemagne et la France sont les seuls pays qui aient encore aujourd’hui des forces militaires sérieuses à Pékin et dans les environs. Nos soldats marchent d’accord : mais qu’adviendrait-il si l’Allemagne dessinait un mouvement quelconque, fût-il seulement politique, à l’encontre de la Russie ? Au reste, elle est fort éloignée d’y songer. Nous avons grandement besoin de l’union de nos forces, et ce n’est pas le moment pour les autres puissances de laisser apercevoir entre elles des germes de jalousie ou de division. Les choses en sont là.

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
F. Brunetiere.