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ce n’est qu’une seule poussée, incessante, à l’intérieur de la marmite où bout le brouet espagnol, et ce, malgré le gantelet de fer comprimant le couvercle. Tout n’a qu’un temps, dit l’Ecclésiaste. La folie de domination par la force n’y échappe pas. On peut avoir souscrit aux 18 000 exécutions du duc d’Albe, mais on perd les Flandres ; on peut avoir grillé Guatimozin, mais on perd le Mexique ; on peut avoir réduit les mères indiennes à égorger leurs enfans pour leur épargner l’esclavage, mais on s’aliène la Nouvelle-Grenade ; on peut avoir saigné le Pérou, mais le Pérou, même épuisé, vous rejette ; on peut endosser allègrement les tortures des reconcentrados, mais Cuba vous renvoie chez vous avec la cendre de vos grands hommes…

… Je passe sur les flâneries de mes quelques jours ici, occupés en grande partie à des furetages, des brocantages, d’ailleurs peu fructueux, en quête de souvenirs authentiques, de ces reliefs du passé qui auront bientôt disparu tout à fait avec les razzias de certains amateurs. On en rencontre cependant encore, mais par miracle : pièces d’or à la croix, qui sont de vieux ducats espagnols aux bords déchiquetés, martelés à la hâte pour les premiers besoins de la conquête ; rarissimes écus de l’Antioquia, é tri ers de bronze des conquistadors, massifs et déstructure étrange, qu’on fondait grossièrement dans le pays même, avec des paillettes de cuivre lavées aux torrens du Cauca.

Dans leur fabrication, on lit la nécessité fiévreuse du temps, l’impatience des reitres qui les attendaient à la porte du forgeron pour monter en selle. La fonte en est restée baveuse ; on y chercherait en vain un coup de lime ; et pourtant, rapidement buriné dans la pâle, il y a presque toujours, oh ! un détail, un rien, arabesque. Fleur ou rinceau, qui trahit, là encore, l’incoercible besoin d’art de ces générations.

Ou bien, çà et là, un bijou, une croix, des pendans d’oreille, en filigrane d’argent ou d’or, tels qu’on continue à en fabriquer de nos jours, sur les côtes d’Algérie, du Maroc ou de la Tunisie, et charmans tout de même, par leur mièvrerie et leur fragilité arabes.

Mais en vain l’on chercherait les belles épées à la garde picaresque, les cuirasses évasées aux hanches en corsets Médicis, les mousquets évasés à la gueule comme des tromblons, les harnois de fer, tous les trophées que promenèrent sous ce ciel torride les compagnons de Balboa ou de Pizarre. Détruit, dispersé,