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ville, on ne peut guère prendre de meilleur compagnon que son imagination ; on y croise plus d’ombres et de fantômes que de vivans. On n’y sent même pas l’animation, la vie que donne la proximité de la mer. C’est à peine si l’on s’aperçoit qu’il y a un port ; et que ce port est vaste, profond el sûr comme aucun au Ire sur cette côte. Une jolie petite place s’offre pourtant, tout empanachée de lauriers et de fleurs. Mais, autour de cette oasis, de cette couronne souriante, il faut subir encore, et plus ternes, plus morts ici que partout ailleurs, les damiers de maisons blanches, basses, toutes pareilles, avec leurs grandes fenêtres défendues de grilles de fer aux enroulemens graciles, effrités aujourd’hui, dévorés par l’air marin. Et leur mélancolie spéciale, presque indicible, s’accroît des ruines laissées par le cyclone d’il y a quatre ans et que personne, bien entendu, ne songe à relever, — des immenses places désertes, saharas brûlans et rectangulaires que le vent balaie de ses tourbillons de poussière blanche ; — et des vieux canons, espagnols ou français, fichés la gueule en terre aux angles des rues, leurs inscriptions en lettres carrées et saillantes : le grand Robert, 1669 ; la Jacqueline, 1703, — et de ce je ne sais quoi, enfin, que laisse après soi une histoire trop légendaire et trop pompeuse pour être jamais recommencée !

Ce je ne sais quoi trouve son expression dans cette éternelle brise hurlante accourue de la mer, la grande ululation désolée, vent qui n’apporte pas d’air, qui soulève, sans la rafraîchir, l’atmosphère de plomb ; ou bien encore dans la nuée qui passe comme celle des Orientales, qu’on espère, qu’on supplie et qui continue son chemin sans pitié, pour aller crever plus loin, plus loin toujours…

Car voilà, pourtant, sinon la première ville que les conquistadors fondèrent dans le Nouveau Monde, du moins la plus ancienne qui nous témoigne d’eux, des « héraldiques splendeurs de leurs rêves. » Panama, non point la Panama actuelle élargie à coups de millions sur la molle anse du Pacifique, mais Panama-la-Vieja, l’opulente et trafiquante cité que le boucanier Morgan brûla le 28 janvier 1671, la passait seule en antiquité et importance. Et, entre parenthèses, comme deux siècles d’abandon à la forêt vierge opèrent un travail de nivellement que n’obtenaient pas les conquérans asiatiques eux-mêmes avec leurs charrues et le sel semé sur les ruines, c’est à peine s’il reste de cette première