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développement, de richesses que cette évaluation devra constater. » C’est précisément parce que chacun peut se rendre compte ; par son propre examen qu’on doit se demander si le tableau n’a pas été bien trop poussé aux couleurs sombres et ne tourne pas quelque peu, pour cela, à la fantasmagorie. Il y a d’abord ce que j’appellerai le côté extérieur, ce que tous les yeux peuvent saisir. Prenons Paris, notre grand, notre merveilleux Paris. A l’exception d’un quartier, d’ailleurs restreint, où l’on rencontre quelques rues que l’on appelle vulgairement des rues à communautés, est-ce que les regards des gens que cela peut offusquer sont gênés par la vue de croix trop nombreuses indiquant, comme on l’écrit quelquefois, « des boîtes à nonnes ou à moines » ; leurs oreilles sont-elles fatiguées par trop de tintemens « annonçant les niaiseries de la superstition ? » Pourquoi comptent, dans l’immense fourmilière, quelques cornettes ou quelques robes de religieux ? Quelle place occupent dans la gigantesque cité, dans la colossale usine, les quelques refuges dans lesquels on prie en silence, où l’on travaille sans bruit, d’un travail dont la rémunération attendue n’est pas de celles que les hommes peuvent offrir ; que sont les quelques millions auxquels on peut évaluer ces refuges, en regard des incalculables milliards de richesse immobilière entassés dans ce qui est Paris ?

El si l’on sort, de Paris et qu’on se mette à parcourir le pays dans toutes les directions, — ce qui aujourd’hui est facile et vite fait, — où sont les monastères d’autrefois que l’on rencontrait, pour ainsi parler, à chaque tournant de chemin ? Par-ci, par-là, on vous signale une abbaye où l’on fabrique de la liqueur, à moins qu’on n’y vende du chocolat, et dans les villes, les congrégations d’hommes sont presque une rareté, sinon une exception. Si bien que, lorsqu’on s’est rendu compte par son propre examen, on arrive comme nécessairement à ce résultat que ce formidable danger auquel nous serions exposés est exagération voulue ou terreurs d’esprits que les fantômes hantent et poursuivent.

Mais examinons de plus près, quittons le côté extérieur qui peut tromper ; tâchons, si c’est possible, d’arriver à des évaluations exactes. En 1880, les statistiques officielles estimaient à une centaine de millions les biens immeubles possédés par les congrégations non autorisées, dit M. Trouillot ; mais il croit que ce chiffre est sensiblement au-dessous de la vérité. Il a parfaitement raison ; je triple, je quadruple, pour faire bonne mesure. D’après