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Singulière, le droit d’association ait échappé à cette ingérence de ceux qui gouvernent et de ceux qui légifèrent, puisqu’on chercherait vainement dans nos codes, pourtant si démesurément touffus, une loi qui en règle l’exercice. Ce serait une grave erreur que de voir dans ce silence et cette inaction le respect du droit lui-même ; ce n’est point l’envie qui a manqué de toucher au droit, c’est la difficulté de le faire, la délicatesse des questions à résoudre, qui ont formé le véritable obstacle devant lequel on s’est arrêté, entreprenant l’œuvre un jour pour l’abandonner le lendemain, paraissant entrer résolument dans la voie pour s’arrêter et retourner sur ses pas, parvenus à peine à moitié route.

Il semble que la solution du problème serait facile, si l’on se trouvait seulement en face d’associations philanthropiques, littéraires, artistiques ; mais il est une autre espèce d’associations : les associations religieuses, — celles des hommes vivant en commun, emportant, comme on dit, renonciation aux droits qui ne sont pas dans le commerce, — les congrégations, les moines, puisqu’il faut les appeler par leur nom.

Si l’exactitude d’une locution peut en faire pardonner la vulgarité, on se permettra de dire que c’est là ce qui met le feu aux poudres, ce qui gâte tout, ce qui crée à l’œuvre législative des difficultés presque inextricables. Derrière toutes les dispositions projetées, discutées, il y aura désormais un fantôme, un spectre que certains ne quitteront jamais des yeux, qui les hypnotisera, de telle sorte que, si l’on vote une loi sur les associations en gémirai sans distinguer entre les associations religieuses ou congrégations et les autres, on fera à ces dernières un régime vexa-foire, on les soumettra à des mesures que rien, dans leur nature, ne justifiera, on les enveloppera dans les mailles d’un filet au fond duquel on sera tout surpris de les apercevoir ; et cela, non qu’on ait, en ce qui les concerne, ni défiance, ni mauvais vouloir, mais dans la crainte du spectre, de peur d’ouvrir une brèche par laquelle l’ennemi puisse, à un instant, entrer ou sortir. Que si la loi distingue, parmi les associations, celles qui sont formées par le lien religieux, où l’on met en commun, non seulement « les connaissances ou l’activité, » mais les vies tout entières, autrement dire les congrégations, on peut être amené à créer un régime tellement exceptionnel, tellement en contradiction avec les idées de liberté, avec les principes ordinaires de droit et de justice, que ceux-là mêmes s’en inquiètent et s’en effraient qui ne