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prétendu voyage en Orient, auquel ont cru quelques-uns de ses commentateurs, n’est qu’une pure fiction, et que surtout il faut renoncer à l’idée qu’il se soit fait mahométan. Encore a-t-on pu le dire avec quelque vraisemblance et essayer de le prouver.

Quant à ce qu’étaient ses véritables croyances, le doute est, tout au moins, permis. Vasari, dans la première édition de ses Vite, avançait que les « recherches scientifiques de Léonard l’avaient amené à une conception tellement hérétique que ne pouvant s’accommoder d’aucune religion, il estimait préférable d’être philosophe plutôt que chrétien. » Mieux informé ou sentant la gravité d’une pareille assertion, Vasari avait par la suite supprimé ce passage. En réalité, telle est bien la conclusion à laquelle, après un sérieux examen, aboutit M. Séailles et qu’on trouve confirmée dans le livre de M. E. Müntz. Si non seulement les formules adoptées alors, mais les dispositions mêmes du testament de Léonard sont d’un catholique pratiquant, c’est vainement, en revanche, qu’on chercherait dans ses écrits quelque affirmation positive de sa foi religieuse. Les passages où, sous forme de prophéties ou d’apologues, il s’élève fortement contre les tendances ou les désordres du clergé, et même contre la prédominance de certaines doctrines qui ont cours dans la chrétienté y abondent au contraire, et c’est avec une hardiesse singulière qu’il s’exprime à cet égard. A considérer l’ensemble de ses écrits pour essayer d’en dégager les témoignages les plus probans, Léonard apparaît comme un déiste convaincu. Il serait aventureux de le presser davantage, et comme l’a très bien dit M. Séailles : « Sa religion c’est l’étude et l’intelligence de l’univers où vit l’esprit de Dieu. » Pour lui, les vrais miracles sont les lois merveilleuses qui président à l’ordre de cet univers, et, penché sur le monde, cherchant à surprendre ses secrets, il en admire surtout la beauté. Mieux que personne il est en droit de dire que « rien ne peut être aimé ou haï si l’on n’en a d’abord la connaissance, et l’amour est d’autant plus ardent que la connaissance est plus certaine. » Parfois le spectacle de l’univers lui apporte de si éclatantes révélations, et qui dépassent de si haut le commun des hommes, qu’il en reste comme ébloui et que cette vie qui lui vaut de si pures jouissances, lui fait un peu oublier la vie future. A un élan de reconnaissance vers Dieu et de soumission absolue à ses volontés, il mêle presque aussitôt un retour un peu intéressé sur lui-même : « Mon Dieu, s’écrie-t-il, je vous obéis d’abord