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régnant et à la mode. Il faut donc vivre, réfléchir et converser avec soi-même. Sans cesse Léonard revient à cette idée : « Si tu es avec un autre, tu n’es plus que la moitié de toi-même ; seul, tu es tout entier toi-même ; » et il la traduit énergiquement sous la forme brève d’une définition tirée de l’étymologie même des mots : « Le sauvage est celui qui se sauve lui-même : Salvatico è quel che si salva. »

Quiconque s’est consacré à l’art doit se hâter de s’instruire, car « les connaissances acquises pendant la jeunesse ralentissent les dommages que cause la vieillesse. » Il faut aussi viser haut, « car c’est un triste disciple que celui qui ne surpasse pas son maître. » L’art doit être aimé par-dessus tout, puisque « toute chose mortelle passe, mais non une création de l’art. » Il est bon que la curiosité de l’artiste soit toujours en éveil ; que le jour et la nuit il pense à ce qu’il fait : « Il convient de repasser durant la nuit les choses qu’on a étudiées. J’ai encore éprouvé, ajoute Léonard, qu’il est fort utile lorsqu’on est au lit, dans le silence de la nuit, de rappeler les idées des choses qu’on a étudiées et dessinées, de retracer dans sa pensée les contours des figures qui exigent plus de réflexion et d’application ; par ce moyen, on rend les images des objets plus vives, on fortifie et on conserve plus longtemps l’impression qu’ils ont faite. »

Pour ce qui a trait au paysage, « les veillées de l’hiver seront employées par les jeunes gens à approfondir les études faites en été, » à les résumer, à choisir les meilleurs types pour bien les graver dans leur esprit et en dégager les enseignemens qu’ils comportent. L’été suivant, forts de leur expérience, ils seront à même de diriger avec plus de suite des études dans lesquelles il convient « de mettre plus de dilection et de soin que de vitesse. » Il vaut mieux, en tout cas, ne pas travailler que de travaillera moitié et mollement, car « de même que manger sans envie est dommageable à la santé, ainsi l’étude sans désir gâte la mémoire, qui alors ne retient rien de ce qu’elle prend. » Que l’artiste évite toujours la virtuosité ; qu’il garde intacte et vigilante sa volonté, de peur de voir ses nerfs prendre le dessus et sa main devenir maîtresse au lieu d’obéir. « Il est bon de s’éloigner parfois de son œuvre, au cours de son travail, parce que celle-ci semblant alors plus petite, elle s’embrasse mieux d’un seul regard et que, par conséquent, on connaît mieux ainsi la discordance des proportions et des couleurs des choses. » L’usage