Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

car ainsi qu’il le dit : « La peinture étant un poème muet, il faut, pour qu’elle se fasse bien comprendre, que la mimique des figures soit aussi claire que possible. » En conséquence, rien n’est indifférent de ce qui peut servir à préciser la pensée de l’artiste et tout ce qui est de nature à y contribuer mérite son attention. Aussi Léonard a-t-il le plus grand souci de mettre en œuvre tous les moyens qui sont à sa disposition. Après le visage, un des secours les plus puissans qu’il trouve à cet égard lui est fourni par les mains et dans toutes ses œuvres il a su en tirer le parti le plus éloquent. Il n’est satisfait que lorsqu’il arrive à leur donner toute la signification qu’elles doivent avoir. Qu’il s’agisse pour elles de prendre, de tirer, de frapper, de marquer la terreur, l’admiration, l’étonnement, le mépris, la prière ou la haine, elles font toujours excellemment, chez Léonard, ce qu’elles ont à faire, et, sur ce point encore, elles réalisent en perfection cette idée qui lui est chère : « que les extrémités du toutes choses donnent à ces choses grâce ou manque de grâce. »

Il a compris aussi, mieux qu’on n’avait fait jusqu’alors, l’importance qu’il convient de donner aux draperies, à quel point elles peuvent compromettre ou fausser l’indication d’un mouvement, détruire la beauté d’une attitude. Avant lui, les Primitifs avaient bien pu s’accommoder du dessin un peu sommaire des lourdes étoffes dans lesquelles ils enveloppaient les figures. Préoccupés avec raison de mettre dans les vêtemens des personnages plus de variété et de richesse, leurs successeurs, en dépit des progrès qu’ils avaient réalisés en ce sens, ne manifestaient encore que l’incohérence de leurs tentatives dans les arrangemens un peu arbitraires des plis de leurs draperies. Tantôt molles et chiffonnées à l’excès chez quelques-uns des précurseurs, elles sont, au contraire, chez d’autres, anguleuses, rigides et cassantes. Il appartenait à Léonard de leur donner une souplesse et une grâce qui n’ont jamais été dépassées. Lui-même a résumé en quelques mots ses idées à cet égard : « On doit éviter dans une draperie la confusion de plis trop multipliés et n’en faire que là où elle est retenue avec les mains ou avec les bras. Il faut laisser le reste tomber simplement où l’attire la nature et veiller à ce que le nu ne soit pas traversé par trop de linéamens ou de brisures de plis. » Bien mieux encore que ce précepte, pourtant si judicieux, les dessins de Léonard (musée du Louvre,