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paru qu’il y avait quelque intérêt à chercher si la suite même de ses dessins aussi bien que les notes éparses de ses manuscrits ne présentent pas entre elles un lien, un enchaînement logique, et comme les élémens formels d’une doctrine. Ainsi qu’on le verra, en même temps qu’une part très grande y est attribuée à la science, on sent partout le légitime désir d’assurer par elle au sentiment, à l’imagination et à toutes les facultés créatrices de l’artiste la plénitude de leur exercice. Personne n’a mis dans l’expression de ses pensées plus de netteté que Léonard. Jaloux qu’il est d’acquérir pour lui-même toutes les perfections, il les rêve pour les autres et leur trace la ligne de conduite qui lui paraît la plus propre à les leur procurer. L’art pour lui n’est pas une chose isolée ; il se rattache intimement à la vie, et l’hygiène morale qui lui convient, toute supérieure qu’elle soit, demeure toujours pratique. Cet accord seul peut être fécond et mettre l’artiste en possession de toutes les ressources nécessaires à son complet développement. Il y a là un ensemble de vérités qu’il n’est peut-être pas inutile de rappeler, en invoquant pour elles le bénéfice de l’exemple et des préceptes de Léonard.

I

On sait que la plupart des maîtres de la Renaissance ne se bornaient pas à la pratique d’un seul art, et qu’à ses débuts surtout, bon nombre d’entre eux se sont distingués à la fois comme architectes, comme peintres ou sculpteurs, excellant plus ou moins dans ces différens arts suivant leurs tempéramens, leurs goûts ou les conditions mêmes de leur vie. Michel-Ange, qui réunissait en lui ces diverses aptitudes, était avant tout sculpteur, et il affirmait lui-même ses préférences pour la statuaire, qu’il considérait comme très supérieure à la peinture. N’eût-il pas ainsi formulé sa pensée, que ses dessins eux-mêmes auraient témoigné de ses sentimens à cet égard. À le voir exprimer, comme il fait, le modelé de ses figures à grandes hachures de la plume ou du crayon, données fièrement dans le sens de la forme, on reconnaît l’homme habitué à pétrir l’argile ou à marteler le marbre, Léonard, au contraire, vantait la prééminence de la peinture, et cette prédilection résultait pour lui « du peu de matière et du peu d’efforts musculaires qui suffisent à cet art, en comparaison de ce qu’exige la statuaire. » La poésie elle-même devait,