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permettre à chacun d’y exprimer pleinement sa pensée. De même qu’il y a plus d’un siècle de grands orateurs ne craignaient pas de prononcer, en pleine Chambre des communes, des paroles favorables aux colons d’Amérique révoltés, de même aujourd’hui les avertissemens ne manquent pas au peuple : le caractère de ceux qui les lui donnent devrait le rendre attentif : mais il est emporté par un tourbillon d’où il ne sortira que plus tard.

L’Angleterre s’est lancée dans une aventure où ses meilleurs amis ont regretté de la voir s’engager. On a comparé la situation de l’Afrique du Sud à celle des États d’Amérique, lorsque au XVIIIe siècle les colons s’insurgèrent contre la métropole et se séparèrent d’elle pour ne pas payer les taxes qu’elle prétendait leur imposer. Mais la conjoncture actuelle est plus grave encore : la majorité des colons américains était anglaise de race et ne nourrissait pas contre la mère patrie la haine terrible qui est au cœur des Boers et qui, au lieu de disparaître, comme il arrive quelquefois après des guerres suivies d’une paix loyale et franchement observée, a été avivée par les entreprises répétées de la Grande-Bretagne contre l’indépendance et la liberté de l’Afrique du Sud. Non seulement la majorité de la population blanche des deux Républiques, le Transvaal et l’Orange, est de sang hollandais, mais une grande partie des habitans de la colonie du Cap est de même origine : bien des chefs de familles établies dans cette colonie ont combattu et combattent à côté des Boers, ont vu leurs fermes confisquées et ne peuvent entrevoir que la misère, la ruine, la mort peut-être, si la domination britannique est assise dans leur pays. A d’autres époques, il se trouvait à Londres des hommes d’Etat qui reconnaissaient les erreurs commises, qui rendaient les îles Ioniennes à la Grèce et qui, après Majuba Hill, arrêtaient l’effusion du sang et laissaient au Transvaal une indépendance à peu près complète, sauf le maintien théorique d’une suzeraineté nominale. Nous ne sachions pas que cette politique ail diminué la grandeur ni même porter atteinte au prestige du Royaume-Uni : bien au contraire, il est apparu alors aux yeux du monde civilisé comme une puissance que l’ambition ne guidait pas seule ; il a été loué par les libéraux de tous les pays comme le gardien fidèle de ces belles traditions, que nous nous sommes plu longtemps à considérer comme l’apanage du gouvernement parlementaire. En dépit des sophismes contraires, jamais la prospérité économique du pays ne s’est développée avec plus de