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à Tientsin et à Pékin. Cette dernière hypothèse ne nous parait pas très vraisemblable : en dépit de certains langages belliqueux, nous pensons que l’Europe arrivera à discerner ce qu’elle doit faire en Chine et se ralliera à la manière de voir de la Russie plutôt qu’aux idées qu’on a pu un moment prêter à l’Allemagne. Si nos prévisions sont exactes, les marchés de New-York, de Berlin et de Paris vont se trouver dans un état différent de celui de Londres : les Etats-Unis sont prospères, augmentent leurs exportations dans une proportion merveilleuse, et, à moins de se laisser aller à quelqu’une de ces exagérations dont leur histoire économique nous a laissé le souvenir et qui sont dans le caractère du pays, garderont des capitaux énormes à leur disposition. La réélection du président Mac-Kinley a donné une sécurité nouvelle aux commerçans et aux financiers. Berlin s’arrête dans la voie des créations industrielles, où la mesure est atteinte et a été parfois dépassée. Paris, qui n’avait guère péché que par l’inflation des cours de certaines valeurs métallurgiques et de transport, va sentir l’effet des centaines de millions que l’Exposition a fait affluer vers lui et dont l’encaisse de la Banque de France, grossie en six mois de. 350 millions, donne le témoignage irrécusable. Ces trois places et d’autres encore vont donc pouvoir envoyer des capitaux à Londres et y acheter des litres, à la condition toutefois qu’elles y trouvent un rendement rémunérateur : les Anglais, qui, au cours du développement pacifique de leur industrie et de leur commerce, étaient devenus les créanciers de tant de pays, les commanditaires de tant d’industries étrangères, vont passer temporairement de l’état de nation prêteuse à celui de nation emprunteuse. Leur crédit est assez solide pour leur permettre de trouver chez eux et au dehors les milliards dont ils auront besoin : mais cela va modifier leur situation économique. C’était grâce à l’accumulation de leurs réserves, grâce aux sommes considérables qu’ils percevaient, tous les ans, à titre de coupons d’intérêt ou de dividende, qu’ils payaient l’énorme excédent de leurs importations sur leurs exportations. Si ces revenus diminuent, si d’autre part la concurrence américaine menace leurs propres exportations de fer, d’acier et de charbon, sans parler des cotonnades qui pourront, elles aussi, trouver des rivales dans les usines du Sud des Etats-Unis, comme elles en ont rencontré déjà aux Indes, les Anglais doivent peut-être s’attendre à une période moins brillante que celle qu’ils viennent de traverser.