Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’appuyant moralement sur la catholicité tout entière obligera toujours les Italiens à respecter sa dignité, si précaire que soit la situation à laquelle les événemens l’aient réduit.

« Ce suffrage de l’étranger a une grande valeur en ce pays, plus peut-être que dans aucun autre, Léon XIII l’a déjà, on peut le dire, conquis en partie. Il a, par suite, obtenu dès le début de son règne, de toute la population de la péninsule, un respect à peu près unanime et qui va en s’augmentant tous les jours. L’Italie se sent honorée et flattée d’avoir ce Pape à grandes allures. Il ne lui déplaît pas de voir quelques prélats un peu malmenés pour la bonne cause et quelques incapables remerciés. Elle sent que la tiare est placée sur une tête qui sait la porter. Elle n’en redoute pas l’autorité dans le présent et elle en aime la dignité. Et puis, à tort ou à raison, elle s’imagine que le règne du pontife actuel sera heureux, et, comme tout le monde, elle aime le succès. Garibaldi lui-même n’a pas osé jusqu’ici jeter au nouveau pontife ses insultes habituelles envers l’Église et ses représentans. Au fond, la nation entrevoit, confusément encore, mais avec cet esprit politique qui la caractérise, qu’il y a, entre elle et la papauté, sinon une conciliation possible, du moins une gloire italienne, qu’elle ne doit pas laisser échapper, et au maintien de laquelle les suffrages venus de l’étranger ne lui feront attacher que plus de prix. La création des nouveaux cardinaux ne peut, à ce point de vue, être envisagée que comme un acte habile du nouveau pontificat. C’est un avertissement à l’Italie, qui n’était pas fait pour lui plaire, mais qui, venant à propos, n’a produit au fond qu’un salutaire effet. »

J’eus l’occasion de m’apercevoir, en voyant Sa Sainteté quelques jours après les deux derniers consistoires des 12 et 15 mai, que j’avais bien compris sa pensée en la traduisant ainsi. Le Saint-Père me parla fort longuement des choix qu’il avait cru devoir faire et de la satisfaction qu’ils lui paraissaient avoir produite à l’étranger, du concours sympathique que les Anglais, même appartenant à la religion protestante, avaient donné, par leur présence dans les salons du cardinal Howard, au choix du cardinal Newman. Il me dit qu’il avait été très heureux d’avoir pu accorder à la France une part aussi importante dans le Sacré Collège. Il m’entretint de l’émotion qu’il avait éprouvée en donnant le chapeau cardinalice à son frère, plus âgé que lui de quelques années, et qu’il avait, sur la demande expresse du Sacré