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LE FANTÔME.

chera pas de faire mon devoir vis-à-vis du petit et vis-à-vis de lui aussi. Nous avons vécu avec quelque chose que je pressentais et qui me faisait mal à chercher. Nous vivrons avec quelque chose qui me fait plus mal à savoir. Voilà tout… La voulez-vous, la preuve que je l’aime toujours ? Dans toutes ces longues heures où j’ai tant pensé, savez-vous ce qui me déchirait davantage ? C’était de me dire que lui, il ne m’a jamais aimée… Non ! Ce n’est pas moi qu’il a aimée en moi… Ce n’est pas moi ! Ah ! gémit-elle avec un regard de terreur, ne m’en faites pas dire plus !…

— Pauvre âme !… répondit le vieillard dont l’émotion était portée à l’extrême. Dans la délicate et passionnée susceptibilité de ce cœur de femme, il reconnaissait une façon de sentir si pareille à la sienne, et il reprit, trouvant dans sa pitié les seules paroles qui pussent insinuer un baume dans ce dernier pli du cancer qu’elle venait de découvrir : — Si c’était ainsi, tu aurais raison. Mais ce n’est pas ainsi. Tu dis que ton mari ne t’a pas aimée pour toi, et ce n’est pas vrai… D’où viennent les troubles que tu lui as vu traverser alors, s’il ne t’aimait pas ? Contre quoi s’est-il débattu, sinon contre le regret du tort irréparable qu’il t’avait fait ? Si tu le veux, je t’apporterai son Journal. Tu le reprendras. Tu le liras tout entier, et tu y verras comme tu lui es devenue chaque jour plus chère, et comment il n’a pas pu supporter de te mentir… Condamne-le, c’est ton droit. Mais ne dis pas qu’il ne t’a pas aimée… — Ah ! qu’il lui coûtait, cet éloge de l’homme qu’il avait, lui, un si puissant motif de haïr ! — J’ai pu le juger, depuis que tu m’as envoyé chez lui et qu’il s’est confié à moi. J’ai pu constater combien il était digne d’être aimé, combien il en a besoin, et d’être aimé par toi. Si tu l’avais vu, comme moi, regarder son fils, votre fils, tu ne dirais jamais qu’il ne t’aime pas…

— Oui, dit Éveline, je sais qu’il est bon pour l’enfant… On m’a raconté qu’il le prend, qu’il l’embrasse… Mais vous savez bien qu’on peut aimer un enfant et ne pas aimer la mère…

— Tu n’as qu’à le lui tendre, quand il entrera dans la chambre, dit d’Andiguier. Tu verras qui de vous deux il regardera…

— Je ne pourrais pas,… répondit Éveline… Je peux le recevoir. Qu’il ne me demande rien de plus ! ni vous. Je ne peux que cela…

Il y eut un silence entre eux, qu’elle interrompit, après avoir