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sionnée suscitait en elle, Éveline allait en tirer des conséquences déjà trop voisines de la cruelle vérité !


Au cours des huit jours qui s’écoulèrent ainsi, entre ces premières scènes et l’inévitable, le décisif événement qui devait achever de l’éclairer, rien cependant ne trahit chez elle cette tension extraordinaire de sa pensée sur ce problème, à présent rétréci d’une façon bien nette. Elle alla et vint, comme d’habitude, accomplissant ceux des devoirs du monde qu’un huitième mois de grossesse permet encore à une femme, suivant avec sa ponctualité accoutumée les prescriptions du médecin, marchant beaucoup, et activant les derniers préparatifs pour la toute prochaine naissance de l’enfant, qu’elle avait déclaré vouloir nourrir elle-même. Quiconque l’aurait vue, assise à la table des repas, en face de son mari, ou cheminant dans une des allées écartées du Bois, tantôt avec lui, tantôt avec une de ses cousines, ou bien encore, travaillant le soir à un ouvrage dans l’angle préféré de son petit salon, n’aurait jamais imaginé qu’elle avait traversé, si peu de temps auparavant, des épreuves si violentes et si tragiques. D’Andiguier était le seul à comprendre que la tragédie continuait, mais silencieuse et toute mentale, sous ce front si jeune et si impénétrable où le bleuâtre réseau des veines semblait faire couler un sang paisible et que la pensée dévorait. Il avait trop vu sa mère se renfermer dans cette atmosphère de douceur distante, pour n’en être pas effrayé. Mais il se gardait de communiquer ses craintes à Malclerc, qu’il voyait, de son côté, tenir sa promesse, se dominer et opposer aux investigations de sa femme un visage tout ensemble affectueux et indéchiffrable, sans aucune trace des anciennes mélancolies. Le vieillard sentait bien que ce n’était là qu’une accalmie entre deux tempêtes. Cependant, le jour de la délivrance d’Éveline approchait, et, pour lui, cette venue de l’enfant continuait à être la grande espérance. Il avait besoin de cette espérance, afin de supporter lui-même la tristesse dont il continuait d’être rongé, et qui se manifestait par des symptômes dont Éveline et Malclerc ne pouvaient s’empêcher de s’inquiéter, malgré leurs propres soucis. Seulement, le jeune homme savait pourquoi, à chacune de ses visites rue de Lisbonne, le collectionneur montait l’escalier d’un pas plus pesant, avec un souffle plus court, quelle idée douloureuse creusait ses rides chaque jour un peu davantage. Il savait