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LE FANTÔME.

remettant à d’Andiguier son journal ? « Ce que vous me prescrirez de faire, je le ferai… » avait-il dit, et toute la confusion d’une honte bien voisine du repentir n’avait-elle point passé dans cette plainte : « Laissez-moi vous serrer la main. C’est peut-être la dernière fois ?… » Et combien il était influençable, combien aisément sa sensibilité malade se mettait au ton d’une sensibilité plus saine, ne l’avait-il pas déclaré par cet aveu : « Je pourrai lui être bienfaisant. De ne plus être seul à porter ce poids sur le cœur, va me le permettre !… » Oui, plus d’Andiguier y réfléchissait, plus il comprenait que la seule voie de salut ouverte à ce ménage était dans ce repentir de Malclerc. Il fallait que cet homme aperçût dans une acceptation courageuse et secrète de sa souffrance intérieure un rachat possible de la faute qu’il avait commise. Il avait pris toute une existence, — et dans quelles conditions ! — uniquement pour satisfaire son morbide appétit de sentir. Il retrouverait l’estime de lui-même et par suite un peu plus de force chaque jour, s’il se dominait assez pour que les contre-coups de ses émotions n’atteignissent plus le cœur dont il avait abusé. L’effort serait d’autant plus pénible que l’attention d’Éveline était éveillée et qu’elle épierait sur le visage de son mari les moindres vestiges du trouble caché dont elle avait mesuré l’intensité. Mais aussi, elle allait être mère. La naissance d’un enfant exerce sur une âme de femme une si puissante dérivation de ses facultés aimantes ! Quatre ou cinq semaines la séparaient de la délivrance. Que Malclerc eût la force de tenir jusque-là ce rôle d’un homme redevenu maître de lui, et qui a traversé une crise d’un ordre tout physique, comme il l’avait prétendu — … peut-être la maternité accomplirait-elle une fois de plus son miracle d’apaisement.

— J’ai bien vu sa mère arrachée ainsi au désespoir, se disait d’Andiguier. — Oui, la maternité sauvera tout, à la condition qu’elle ne soupçonne rien, absolument rien… Cela dépend de lui, de lui seul… Ah ! Je l’y forcerai bien… Pourvu qu’il ne se passe rien de nouveau cette nuit-ci ?… Je ne me le pardonnerais pas… J’aurais dû le faire venir dès aujourd’hui, lui parler. Mais c’était trop dur. Et que ce sera dur, même demain !…


C’est sur ce discours intérieur et sur cette résolution que s’acheva, pour le vieillard, cette terrible journée. L’appréhension