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LE FANTÔME

DERNIÈRE PARTIE[1]


VI. — DEUX AMOURS

Il est peu d’épreuves plus cruelles pour un homme de cœur, que d’apprendre d’une façon certaine, après la perte d’une personne qui lui fut chère, quelque action de cette personne absolument contraire à l’image qu’il en a gardée. Elle n’est plus là pour se défendre, pour expliquer comment elle a pu faire ce dont il ne l’eût jamais crue capable. De la condamner sans l’entendre, maintenant surtout qu’elle est revêtue du caractère, solennel de la mort, donne au survivant l’impression qu’il commet une iniquité sacrilège. Mais la vérité est plus forte, et elle a raison de ce pieux scrupule. Il se met à se souvenir du passé, de l’époque où l’action qui vient de lui être dénoncée fut accomplie. Il se rappelle telle phrase que le mort ou la morte a prononcée, tel geste, tel regard. Cette créature en qui il avait tant cru le trompait donc ? Elle jouait devant lui une comédie ? C’est une douleur profonde et d’une amertume sans nom, quand cette découverte rétrospective aboutit à une rupture avec un très cher souvenir. Il est des morts avec qui l’on brise ainsi, des morts que l’on souhaite désormais ne plus revoir, de l’autre côté des jours, et ces déchiremens de l’affection posthume ont toutes les tristesses d’un second adieu plus désolé que le premier. D’autres

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 décembre 1900 et du 1er janvier.