Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une installation nouvelle et définitive. L’œuvre serait pénible et coûteuse, le résultat incommode, sans compter que le prestige d’une dynastie qui aurait abandonné pour toujours la vieille et traditionnelle capitale de l’empire subirait une atteinte dont il aurait de la peine à se relever. Ce serait la consécration officielle d’une défaite que le gouvernement actuel fait tous ses efforts pour dissimuler à ses peuples. Quitter Pékin provisoirement, afin d’être plus libre dans les négociations avec les Puissances, peut être présenté comme une manœuvre habile, et l’est effectivement ; mais si, ces négociations se prolongeant beaucoup, on ne voyait pas le gouvernement revenir à Pékin, ce serait pour lui un désastre politique. Il est certainement pressé d’y rentrer, et l’impatience qu’il en éprouve est le sentiment sur lequel nous pouvons le plus compter pour l’amener à faire les concessions indispensables, et à les faire vite. Si le gouvernement chinois mettait à rédiger sa réponse le même temps que les Puissances ont mis à rédiger leur demande, nous serions encore très loin du dénouement. Mais les Puissances étaient huit et le gouvernement chinois est seul, ce qui permet d’espérer que, quoique soumis à des influences très diverses, il arrivera plus promptement à une décision.

Pour le moment, on ne peut que l’attendre, et les pronostics que l’on établirait sur les vraisemblances seraient d’autant plus vains que nous sommes encore peu familiarisés avec la psychologie du Chinois, et que les mêmes choses peuvent se présenter à son esprit tout autrement qu’à celui d’un Européen.


Nous n’avons même pas besoin d’aller en Chine et de rencontrer un peuple dont la civilisation s’éloigne sensiblement de la nôtre, pour constater des procédés de conduite et presque des manières de penser très différens de ceux auxquels nous sommes habitués. Les États-Unis sont les fils de l’Europe, ou les frères, si l’on veut ; ils ont nos idées, nos mœurs, notre civilisation, et nous nous sommes tous empressés de les admettre dans le grand concert des Puissances, où ils viennent de tenir une place très honorable et ont montré, à maintes reprises, beaucoup de bon sens et de fermeté d’esprit. Mais ils ont encore quelque chose à apprendre sur les règles qui régissent les rapports des États entre eux, — à moins qu’ils ne réussissent à nous le faire oublier. Ce qui vient de se passer entre eux et l’Angleterre, à l’occasion du projet de percement d’un canal interocéanique à travers le Nicaragua, en est une preuve frappante.