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consommation si général et si nécessaire qu’il fournit au commerce la matière d’échanges assurés. Et c’est ce que l’on veut exprimer lorsque l’on dit qu’il a servi et qu’il sert encore de monnaie Cela est vrai pour diverses contrées de l’Afrique centrale. Il en a été de même dans l’antiquité. Et c’est parce que le soldat romain recevait sa ration en sel, aussi bien qu’en huile, en viande ou en froment, que sa solde a pris le nom de salaire, étendu plus tard à toute rémunération du travail matériel.


Le besoin du sel, la « faim de sel, » ne sont pas limités à l’homme. Beaucoup d’animaux recherchent cette substance avec avidité. Billion écrivait : « Rien ne flatte plus l’appétit des brebis que le sel. » Barral, Boussingault et Desaive nous ont appris que le bétail pouvait souffrir cruellement de la disette de sel et qu’il prospérait, au contraire, lorsqu’on l’ajoutait à sa ration habituelle[1]. Les rennes, les cerfs et les chevreuils aiment à lécher la surface des flaques saumâtres et les efflorescences salines. Dans tous les climats, sous toutes les latitudes, les ruimans et les solipèdes sauvages se plaisent ainsi dans les terrains à salure, et les chasseurs savent tirer parti de cette circonstance pour choisir leur affût dans les endroits où le sel affleure naturellement ou bien dans lesquels ils ont pris eux-mêmes le soin de le répandre.

Une prédilection si générale, un goût si impérieux, ne sauraient être considérés comme un simple accident ; ils correspondent sans doute à un besoin naturel ; ils doivent avoir des raisons profondément inscrites dans l’organisation animale. La, physiologie contemporaine a essayé de les pénétrer. Elle s’est demandé pourquoi, parmi les substances minérales qui entrent dans notre nourriture, et dont quelques-unes prennent une part beaucoup plus étendue à la constitution des tissus, le sel marin était la seule que l’homme ajoutât, par artifice, à ses alimens naturels. Les sels de chaux et le phosphate de soude, par exemple, qui tiennent une si grande place dans la composition du squelette ou des liquides de l’économie, n’en tiennent aucune dans la cuisine. Si nous les employons quelquefois à l’état isolé, c’est comme médicamens. Pourquoi cet emploi instinctif et unique du

  1. On admet assez généralement, en pratique agricole, qu’il est utile de donner, par jour, de 2 à 5 grammes de sel à un mouton ; de 30 à 30 grammes à un cheval ; de 60 à 100 grammes à un bœuf. En Angleterre et en Allemagne, les éleveurs dépassent, de beaucoup, ces doses.