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nombre des mutuelles, les « finisses rurales » du type Raiffeisen, refusent par principe d’user des largesses de l’Etat. Dans celles-là, les associés ne versent aucun capital fixe ; ils se constituent solidairement responsables de toutes les dettes de la société dont ils font partie et trouvent, dans la juste mesure et l’exacte surveillance des prêts accordés par leur collectivité, une limitation pratique de la garantie théoriquement illimitée à laquelle ils s’engagent.

Si les nouvelles institutions de crédit coopératif ne sont pas arrêtées par le besoin de fonds, c’est donc que les emprunteurs ne se pressent pas de profiter des conditions favorables qui leur sont offertes, puisque les opérations effectuées demeurent, ou doit l’avouer, fort restreintes jusqu’à ce jour. On est donc tenté de conclure que le crédit mutuel n’a guère sa raison d’être dans un pays où, faute de clientèle, il est réduit à végéter. Ce serait une erreur ; la pénurie d’affaires, le chiffre modeste de celles qui sont traitées, s’expliquent par le milieu économique dans lequel a surgi le crédit populaire en France.

Philanthropique et, dans certains cas, religieuse par son but, cette œuvre est, par sa nature même, une entreprise financière : En finance, il n’est pas de crédit « populaire » ou impopulaire ; on ignore le crédit catholique, protestant ou juif : on ne connaît que le crédit tout court, personnel ou réel, fait aux gens ou aux choses. Les promoteurs du crédit coopératif ont dû, sous peine de compromettre leur tentative, s’inspirer dans leurs prêts des mêmes principes que les financiers ordinaires. Or, deux sortes de gens cherchent à emprunter : les uns, parce qu’ils veulent payer ou acheter, — ils ont ou font des dettes ; — les autres parce qu’ils ont produit ou vendu, — ils possèdent des créances et des marchandises. Les premiers sont intéressans, les seconds sont solvables. Ceux-ci tirent, endossent, acceptent des effets de commerce, qu’escomptent, à des taux fort modérés, les banques locales et les innombrables agences que les établissemens, dont j’ai autrefois exposé les rouages[1], — Crédit Lyonnais, Comptoir d’escompte, Société générale, etc., — multiplient à l’envi les uns des autres, pompant et distribuant, sur tout le territoire, les traites et la monnaie.

  1. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1895, les Etablissemens de crédit.