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sommeiller longtemps sans vieillir. Je n’ai pas le pouvoir de secouer le carton léthargique où repose, depuis sept ans, le dossier de cette affaire ; mais il est bon que l’opinion, l’impartiale opinion, soit dûment informée. Le moment ne serait-il pas venu de boucher les fissures d’un règlement suranné, qui entretient, derrière l’institution chargée de secourir les pauvres, une horde attachée à les dépouiller ?

Depuis 1892, une nouvelle sorte de gages a été admise au mont-de-piété : les valeurs mobilières, contre le dépôt desquelles il prête des sommes qui, par leur modicité et par la qualité ; des emprunteurs, rentrent essentiellement ; dans le crédit populaire. La presque-totalité de cette clientèle se compose d’ouvriers (48 000), d’employés (53000), et de petits marchands ou fabricans (46 000). Un cinquième des avances demandées ne dépassent pas 100 francs, et les deux tiers d’entre elles sont inférieures à 300 francs. L’administration s’occupe d’étendre son action bienfaisante au prêt sur titres de pensions civiles et militaires. Légalement, ces pensions sont « incessibles et insaisissables, » mais la pratique ne suit pas toujours la théorie.

On se doute peu du nombre des malheureux retraités qui, poussés par la gêne, engagent leur titre de pension chez le changeur usurier. Pour un trimestre avancé, celui-ci leur en retient deux, si ce n’est plus. On a cité le cas d’un pauvre diable qui avait ainsi obtenu 249 francs, et qui, après avoir versé par acomptes successifs plus de 2 000 francs à son bienfaiteur, se trouvait n’avoir pas encore remboursé un sou du prêt initial. La médaille militaire donne droit à une pension annuelle de 100 francs payable par semestre ; mais beaucoup de titulaires ne touchent jamais plus de 40 francs tous les six mois et laissent, à chaque renouvellement de l’emprunt, 10 francs entre les mains du préteur.

Ce dernier est dans l’usage de faire contracter au client une assurance sur la vie à son profit ; mais il est toujours passible de poursuites correctionnelles. De plus, le titulaire pourrait exiger la restitution de son brevet, ou s’en faire donner un double par l’Etat, ou encore refuser le certificat de vie sans lequel les arrérages ne peuvent être perçus. Les risques de l’opération retombent lourdement sur les débiteurs de cette catégorie, qui trouveraient à bon compte au mont-de-piété les fonds dont ils ont besoin.