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centaines de pièces d’étoffe à terme, pour les revendre le même jour au comptant à moitié prix.

Les bourgeois trouveront aussi des prêts moins onéreux avec des formalités moins dures : il n’était guère de petite somme avancée, aux siècles précédons, sans un nantissement de valeur bien supérieure, ni de grosse somme aventurée sans une garantie foncière qui emportait l’éviction du possesseur. Les innombrables lettres patentes défendant de prendre en gage les objets nécessaires au travail journalier montrent, par leur répétition même, combien peu elles étaient observées. L’emprisonnement, suspendu sur la tête des débiteurs insolvables, était une sorte de sanction qui semblait devoir assurer l’exactitude des paiemens, et qui ne prouvait, au contraire, que la fragilité des contrats. La loi était d’autant plus sévère en théorie qu’elle était plus faible en pratique ; de même que le Code pénal n’est jamais si terrible que dans les pays et les époques où la criminalité est la plus impunie : frappant fort parce qu’il saisit peu. Les particuliers enchérissent encore, dans leurs conventions, sur les rigueurs de l’action publique. Des emprunteurs, au XIVe siècle, s’engageaient, en cas de non-paiement sous un délai fixé, à rester enfermés dans une tour de la maison du créancier.


II

« Il y a depuis longtemps, disait La Bruyère, une manière de faire valoir son bien qui continue d’être pratiquée par d’honnêtes gens et condamnée par d’habiles docteurs. » Au temps de La Bruyère, les docteurs à la vérité, s’étaient fort adoucis, et les « rentes constituées » reposant, non sur un immeuble comme les « rentes foncières, » mais sur la personne ! et l’ensemble des biens du débiteur, étaient nombreuses sous Louis XIV. « A prendre votre costume depuis les pieds jusqu’à la tête, dit l’Avare de Molière à son fils, il y aurait, là de quoi faire une bonne constitution. » Ces « constitutions, » ou pensions, ne furent autre chose que l’intérêt d’un prêt, une forme du crédit personnel, une valeur mobilières répartie entre les diverses classes sociales.

Nous étions pourtant bien en arrière de nos voisins du Sud et du Nord, sous le rapport des institutions de crédit destinées aux petites gens. Le prêt sur gages se faisait en Allemagne et dans