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par reproduction, l’or ou l’argent, — ou même le blé, car le prêt des denrées était aussi mal vu que le prêt des métaux, — n’étaient pas regardés comme pouvant à bon droit se reproduire par le louage.

On n’oserait se montrer trop sévère pour ces excentricités de la raison des aïeux, parce que nos descendans trouveront encore matière à rire dans beaucoup de nos idées actuelles, qui nous paraissent les plus respectables ; que beaucoup de professions sont décriées ou vénérées qui, dans deux ou trois siècles sans doute, ne le seront plus. N’oublions pas qu’il y a fort peu de temps qu’un chirurgien est l’égal d’un médecin ; fort peu de temps aussi que les artistes dramatiques jouissent du droit commun des citoyens et des chrétiens et que les marchands d’esclaves n’en jouissent plus ; qu’un agent de la police criminelle, qui maintient l’ordre social en pourchassant, au péril de sa vie, ceux qui tendent à le troubler est infiniment plus bas placé dans l’estime publique qu’un huissier ou un avoué qui rendent de moindres services.

Ces opinions et bien d’autres, vestiges du passé, nous aident à comprendre comment le métier de prêteur d’argent put être considéré, durant des centaines d’années, comme une occupation avilissante pour ceux qui l’exerçaient personnellement, ou qui, indirectement, par l’octroi de leurs capitaux, y participaient. De là, l’extrême rareté des prêteurs, la mauvaise organisation du prêt et le taux inouï de l’intérêt, conséquences naturelles de l’absence de concurrence et du défaut de sécurité. On connaît la législation spéciale et incohérente appliquée, pendant quatre cents ans, par les divers princes de l’Europe, aux tristes banquiers de leurs États, juifs et lombards, traités tantôt comme des vaches à lait qu’on nourrit à discrétion pour qu’elles rendent davantage, tantôt comme des ennemis de l’ordre public que l’on rançonne ou que l’on détruit.

Tolérés, expulsés, rappelés, ces instrumens odieux et nécessaires du crédit demeurent, du XIIe au XVIe siècle, dans le monde civilisé, comme des oiseaux sur la branche, vont, viennent, ouvrent ou ferment leurs échoppes, selon les besoins et les caprices des potentats ou des foules. Philippe le Bel fixa le taux d’intérêt à 20 pour 100 pour les opérations ordinaires. Louis le 1 lutin l’autorise, quelques années plus tard, jusqu’à 260 pour 100 (un sou pour livre par semaine), mais pas davantage ; « car, disait-il,