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adressés, n’en est-il pas de moins fondé, de plus injuste, de plus contraire à la vérité que celui d’avoir, en important des « genres étrangers » dans une littérature jusqu’à eux prétendument nationale, détourné cette littérature elle-même de ses vraies destinées. L’opposition des Sibilel, des Fontaine, des Aneau, de tant d’autres encore, à la « poétique de la Pléiade » a été plus que l’opposition d’une école dérangée dans ses habitudes ou dépossédée de son public et de son antique réputation, mais il y faut reconnaître l’opposition de l’esprit du moyen âge à celui de la Renaissance. Non seulement ils n’ont pas vu, qu’en dépit des apparences, ces admirateurs des anciens étaient à leur date les vrais modernes, mais ils n’ont pas compris qu’en essayant de ravir à l’Italie et à l’antiquité la gloire de l’art et de la poésie pour les transporter à la France, c’était encore les Ronsard et les Du Bellay qui travaillaient dans l’intérêt et pour le profit de la patrie commune De telle sorte que la contradiction qu’on a cru trouver entre les doctrines de la Pléiade sur l’« imitation des anciens, » et son ambition de « magnifier la langue, » non seulement n’en est pas une, mais au contraire, la prétendue contradiction est l’âme même de cette « poétique. » En 1550, on ne pouvait rien faire de plus « français » en poésie ? , que de se mettre à l’école de l’Italie et de l’antiquité, si l’on ne pouvait rien faire qui pût être plus favorable au développement de l’esprit français, et, rien que de l’avoir tenté, c’est ce qui suffirait pour donner, à la Défense et Illustration de la langue françoise, une importance unique dans notre histoire littéraire.

C’est ce qui en fait également l’originalité. La Défense et Illustration de la langue françoise n’est peut-être dans le détail qu’une « mosaïque » ou un « centon[1], » un de ces textes rares qui font la joie des annotateurs, pour la quantité de « rapprochemens » qu’ils suggèrent, et l’étalage d’érudition que l’on y peut comme suspendre à chaque phrase et presque à chaque mot. Et, en effet, ce n’est pas Du Bellay qui a dit que l’Ode aurait pour matière « les louanges des Dieux et des hommes vertueux, le discours fatal des choses mondaines, la sollicitude des jeunes hommes, et l’amour et les vins libres, et toute bonne chère, » c’est Horace :

  1. Voyez encore à cet égard le livre déjà cité de M. Henri Chamard : Joachim Du Bellay, Lille, 1900, Le Bigot.