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faisant tant d’éloge, semblent toutefois s’en être assez promptement fatigués. Cantique, Chant lyrique, Ode ou Chanson, c’était tout un pour Thomas Sibilet et pour l’auteur du Quintil Horatian. Avec une rare inintelligence de ce qu’il disait, Sibilet recommandait, aux jeunes studieux de « choisir le patron des Odes en Pindarus, poète grec, en Horace latin, » et… en Saint-Gelais, « qui en était, disait-il, auteur tant doux que divin. » l’Art poétique, p. 57.) Et sur la phrase de Du Bellay :


Chante-moi ces Odes inconnues encore de la Muse française,


l’auteur du Quintil Horatian répondait à son tour :


Vray est que le nom d’Ode a été inconnu, comme pérégrin et grec escorché, et nouvellement inventé entre ceux qui, en changeant les noms cuident desguiser les choses ; mais le nom de chant et de chanson est bien connu et reçu comme français. (Ed. Person, 203.)


Quelle était donc, en réalité, la différence de la chanson et de l’Ode ? Ni Du Bellay, ni Ronsard ne se sont expliqués sur ce point, et ce qu’ils sentaient si profondément, les mots ne leur ont nulle part manqué plus cruellement pour le dire. Si l’on en croyait Ronsard, dans la Préface un peu naïve de ses Odes, l’objet de l’Ode serait la louange des hommes constitués en « honneurs, » et


s’il ne connaît en eux chose qui soit digne de grande recommandation, le poète doit entrer dans leur race, et là chercher quelqu’un de leurs aïeux, jadis braves et vaillans, ou les honorer par le litre de leur pays, ou de quelque heureuse fortune survenue soit à eux, soit aux leurs, ou par autres vagabondes digressions, industrieusement brouillant ores ceci, ores cela.


On ne peut là-dessus s’empêcher d’admirer la générosité de ceux qui l’ont récompensé de les avoir loués de la sorte ! Du Bellay, lui, moins flatteur, mais, en vérité, plus pindarique encore, recommande au poète qu’il n’y ait, dans ses Odes, « vers où n’apparaissent quelques vestiges de rare et antique érudition. » Et, un peu plus loin :


Prens bien garde que ce genre de poëme soit éloingné du vulgaire, et illustré de mots propres, et épithètes non oysifz, orné de graves sentences, et varié de toutes manières de couleurs et ornements poétiques. (Illustration, Livre II, ch. IV.)


Nulle recommandation ne pouvait être alors plus dangereuse à suivre : l’Ode, ainsi définie, n’apparaissait proprement que