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Il est vrai que par succession de temps les unes pour avoir été plus curieusement réglées sont devenues plus riches que les autres, mais cela ne se doit attribuer à la félicité desdites langues, ains au seul artifice et industrie des hommes. (Illustration, Livre I. ch. I.)

Il a tort en ce qu’il dit de l’originelle ou première égalité des langues, et nous savons aujourd’hui qu’elles sont nées, les nues « infirmes et débiles en leurs espèces » et les autres « saines, robustes, et plus aptes » à porter la pensée. Le grec et le latin n’ont pas les mêmes qualités ni les mêmes défauts. Mais il a raison en ce qu’il dit du droit supérieur et du pouvoir effectif de l’écrivain sur la langue. Nous ne pouvons pas développer ou perfectionner une langue à contresens de ses aptitudes, mais ses aptitudes sont plus étendues, plus diverses, moins limitées qu’on ne le croirait avant de les avoir cultivées ; et, dans cette mesure, il est absolument vrai que ses grands écrivains sont les maîtres de son perfectionnement ou de son développement. Aussi, de toutes les idées de la Défense, aucune, et tout de suite, ne devait-elle devenir plus féconde en conséquences, ni plus caractéristique de l’esprit classique naissant. « Régler curieusement la langue, » pour l’enrichir d’autant, telle allait être, chez tous nos écrivains, prosateurs ou poètes, l’une de leurs préoccupations les plus constantes. Duas res gens Gallica industriosissime persequitur, rem militarem et argute loqui : le trait de race allait reparaître ; une évolution voulue, succéder à l’évolution naturelle de notre « vulgaire ; » et cet effort de volonté contribuer, — pour quelle part, nous le verrons, — à la fortune de la littérature et des idées françaises.

On en pourrait presque dire autant de la doctrine de la distinction ou de la hiérarchie des genres, telle qu’elle commence à se préciser dans le manifeste de la Pléiade. Qu’est-ce qu’un « Genre littéraire ? » Assurément les auteurs de la Défense ne se sont pas posé la question avec cette netteté ; et ils ne le pouvaient pas. Ils ne pouvaient pas davantage distinguer nettement ces genres les uns des autres, et encore moins les classer. Pourtant, on ne laisse pas d’être surpris, à cet égard, du peu de cas que Ronsard et Du Bellay semblent avoir fait du théâtre.

Quant aux comédies et tragédies, si les roys et les républiques les vouloient restituer en leur ancienne dignité, qu’ont usurpée les farces et les moralitéz, je seroy’ bien d’opinion que tu t’y employasses, et si tu le veux faire pour l’ornement de ta langue, lu sçais où tu en dois trouver les archétypes. (Illustration, Livre II, ch. IV.)