L’habile homme jouait sur les mots. On « n’accusait » pas la langue française ; mais on ne « l’employait » point ! Une tradition régnait encore, héritée de la scolastique, et, — sans parler de ceux qui écrivaient en latin leurs Grammaires françaises, — il était convenu que, si l’on prétendait aborder de certaines matières, plus hautes, plus abstraites, plus difficiles, il y fallait appeler le latin. Longueil, le cicéronien, et Budé, le grand Budé, nous en sont de sûrs témoins. Heureux encore que celui-ci ne se fût pas avisé d’écrire en grec son De transitu hellenismi ad christianismum ! Il l’eût pu, s’il l’eût voulu. Pareillement, c’est en latin que Calvin avait d’abord écrit son Institution chrétienne, et s’il l’avait mise plus tard en français, ce n’avait pas été, tout au rebours de Ronsard et de Du Bellay, pour « l’illustrer, » mais au contraire pour la « vulgariser, » pour en répandre la doctrine parmi ceux qui ne se piquaient point d’humanisme, petites gens, humides artisans d’Orléans ou de Meaux. Les poètes eux-mêmes composaient en latin, Étienne Dolet, Nicolas Bourbon, Salmon Macrin, Jean Voulté, Théodore de Bèze, dont les Pocmata venaient précisément de paraître, en 1548, quelques mois avant la Défense et Illustration. C’était toujours le latin qui donnait la réputation, à défaut de la fortune. Et quiconque écrivait en français, comme Rabelais ou comme Marot, si ce n’était pas précisément, un aveu d’ignorance qu’il faisait, il se « classait, » du moins, je serais tenté de dire : il se disqualifiait ; il s’adressait à un autre public, moins cultivé, plus facile à contenter, moins curieux d’instruction ou de profit que d’agrément ; il prenait rang dans le nombre des « auteurs simplement plaisans. » Contre tous ces latineurs, en revendiquant les titres de la langue française, et par exemple, en établissant « qu’elle n’est incapable de la philosophie. » Ronsard et Du Bellay ne s’attaquaient donc pas à des ennemis imaginaires ; ils accomplissaient une besogne urgente ; et on s’explique tout naturellement leur insistance sur ce point :
Je ne puis assez blâmer la sotte arrogance et témérité d’aucuns de notre nation, — écrivait Du Bellay, — qui n’estans rien moins que Grecs ou Latins desprisent et rejettent d’un sourcil plus que stoïque toutes choses escriptes en françois, et ne me puis assez esmerveiller de l’opinion d’aucuns sçavans qui pensent que nostre vulgaire soit incapable de toutes bonnes lettres et érudition. (Illustration, Livre I, ch. I.)
Pontus de Tyard revenait à la charge, et après avoir loué