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éducateurs, et les Chinois mêmes formés par ces derniers, en doivent être les principaux ouvriers.

La classe des commerçants des travailleurs a intérêt à notre présence dans l’Empire. Les lettrés et les mandarins nous sont hostiles : si les idées européennes se répandent, il leur faudra, pour conserver leur place, laisser l’éducation purement morale et littéraire dont ils sont fiers, s’adonner à ces études scientifiques spécialisées qu’ils méprisent et dont ils n’ont aucune idée précise. Pour les apprivoiser, il n’est d’autre moyen que la conversation avec des hommes qui connaissent les méthodes occidentales et sachent en montrer adroitement la supériorité, que la lecture d’ouvrages conçus dans le même sens. Les mandarins redoutent encore que des procédés administratifs plus exacts, et font la douane maritime leur est un exemple, attaquent leur laisser aller, interdisent les profits illégaux qui forment la majeure partie de leurs ressources ; ils sont gênés de trouver dans leurs administrés chrétiens, avec autant ou plus de respect pour les lois et d’exactitude au payement des impôts, un plus vif sentiment de leurs droits, une personnalité développée sous l’influence du christianisme. Si nous pouvons comprendre ces craintes, nous ne saurions que nous réjouir le jour où nous verrions, à In suite de la prédication religieuse, s’effacer quelques abus, se réaliser plus de justice et d’honnêteté.

Tout cela est encore œuvre d’éducation. Maintenir la Chine ouverte au commerce et à l’industrie, l’ouvrir plus largement et compter sur la vertu civilisatrice du télégraphe et du chemin de fer pour procurer « les réformes intérieures indispensables, » c’est se méprendre. La Chine pourra être ouverte de force comme aujourd’hui, accepter l’inévitable, ou se servir contre nous de nos enseignemens ; il faudra alors que l’Europe à perpétuité monte la garde sur les côtes du grand empire. Mais les « réformes intérieures indispensables, » l’ « efficace protection du commerce étranger honnête, » résulteront surtout d’un changement d’esprit. C’est l’esprit chinois qu’il nous faut comprendre ; c’est lui qu’il nous faut modifier. Pour le comprendre, l’Europe doit étudier les choses de Chine ; pour la modifier, si cela est possible, il n’y a que l’éducation, l’œuvre des Jésuites du XVIIe siècle reprise et transformée par les missionnaires contemporains.


MAURICE COURANT.