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I

Le trait dominant du Chinois, c’est un esprit très pratique, patient et avisé, joint à une imagination pauvre et impersonnelle, D’une situation, le Chinois sait tirer toutes les applications utiles ; le régime patriarcal lui a offert la première organisation régulière de la famille, de la gens, fondée sur le hiao, c’est-à-dire sur le culte filial ; depuis lors, il n’a pas cherché autre chose. La famille, la gens sont aujourd’hui ce qu’elles étaient deux cents ans avant notre ère, presque les mêmes qu’au temps de Confucius. De cet organisme primitif, la race, ingénieuse, a déduit toutes les institutions nécessaires à son évolution comme peuple : d’abord, une féodalité patriarcale, qui semble avoir duré environ neuf siècles ; puis, à la chute de celle-ci (221 avant notre ère), une monarchie absolue, patriarcale aussi, où l’empereur est le chef des familles, le « père et la mère » de ses sujets ; enfin, après quelques oscillations entre les deux formes de gouvernement, la monarchie s’est fixée depuis l’époque des Thang (618-907). Plus récemment, aux familles et aux gentes se sont ajoutées d’autres associations, communes rurales (depuis le XIe siècle), corporations commerciales (avant le XVIe siècle), qui ont imité la forme de l’association familiale. C’est toujours au même principe de groupement que le Chinois a eu recours ; manquant de personnalité, il ne peut vivre seul et ne sait rien être sinon une cellule d’un organisme, mais il ne conçoit pas de groupe plus vaste que celui que son œil embrasse à la fois : famille, association communale, commerciale ou autre. Au VIIe siècle avant notre ère, la Chine, ne s’étendant guère au-delà des sites où sont Péking, Si-ngan, Han-khéou, et Changhaï, comprenant moins de sept des provinces d’aujourd’hui, était déjà en voie de concentration et ne renfermait pas moins d’une trentaine de royaumes unis par un lien féodal très lâche, sans compter plusieurs tribus barbares indépendantes ; le Chinois d’alors ne connaissait pas autre chose que ces petits États ; son descendant n’élève pas sa conception plus haut que la sous-préfecture où il est né et dont les intérêts le touchent ; s’il n’est pas mandarin, la province, l’Empire ne sont pour lui que des mots et leurs affaires ne le concernent pas.

Habile à employer ce qu’elle a sous la main, cette race redoute l’inconnu : aussi l’amour de la tradition a-t-il été érigé en