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le découragement commentait à se répandre parmi les insurgés. Leurs ressources s’épuisaient : la mise en état de siège des départemens qui servaient de théâtre à leurs sinistres exploits ne leur permettait plus de se procurer aussi facilement que les années précédentes. Les secours qu’ils attendaient de l’étranger, sur la foi des promesses de leurs chefs, n’arrivaient pas. Le marquis de Surville n’était pas revenu. Ils restaient sans nouvelles du dehors, plus exposés que jamais aux périls du dedans, perdus et dispersés sur le vaste territoire où ils évoluaient, acculés à une résistance désespérée pour se dérober à un adversaire de qui, après l’avoir si longtemps bravé et par tant de crimes encore impunis, ils n’avaient à espérer ni grâce ni clémence. Pour comble d’infortune, la division s’était mise entre eux. Victimes des mêmes déceptions et des mêmes malheurs, Lamothe et Dominique Allier en étaient arrivés à se haïr. Ils s’accusaient réciproquement d’audace inutile et d’incapacité. Chacun d’eux rendait l’autre responsable de la triste situation du parti royaliste dans les Cévennes. Leur querelle s’envenima. Lamothe tenta de tuer son complice. Menacé de mort et ayant reçu un coup de fusil, Allier dut se retirer pour sauver sa vie.

C’est à cette époque, — 17 avril, — que l’entreprenant Lamothe vit brusquement finir sa carrière de conspirateur. Depuis quelque temps, il évitait de faire parler de lui. A l’instigation de Dominique Allier, la plupart de ses hommes l’avaient abandonné. Livré à lui-même, ne songeant qu’aux moyens de tromper la surveillance exercée partout où était soupçonnée sa présence, il vivait au hasard des chemins, n’osant coucher deux fois de suite au même endroit, se sachant à la merci d’une rencontre ou d’une trahison. Un jour, aux abords du hameau de la Narce, dans la Haute-Loire, il se trouva à l’improviste devant le juge de paix de Coucouron, qui le reconnut et s’attacha à ne pas perdre ses traces. Quelque diligence qu’il eût mise à fuir, il était arrêté quelques heures plus tard ; il fut écroué à la prison du Puy.

Il devait s’attendre à être jugé, condamné et fusillé sur-le-champ. Mais il fut sursis à son procès. Le 6 octobre suivant, dans la soirée, une émeute éclata au Puy. Elle avait, croit-on, pour objet de le délivrer. Lorsqu’elle eut pris fin, on le trouva égorgé dans son cachot. L’obscurité dont est resté enveloppé ce dramatique épisode ne permet pas de préciser si Lamothe périt de la main de ses gardes, qui ne voulaient pas se le laisser enlever,