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moins de ne pas désarmer ni s’avouer vaincu. Ce plan consistait à envoyer un émissaire au Roi afin d’obtenir qu’il donnât aux forces insurrectionnelles éparses dans le Midi un chef militaire à qui tout le monde serait tenu de se soumettre. En attendant ce chef, on tiendrait le pays en haleine par de petites et incessantes entreprises, et on préparerait ainsi une prise d’armes générale.

Le plan fut unanimement adopté. Quand il fallut choisir l’envoyé qui devait exprimer au Roi les vœux de sa noblesse du Midi, c’est sur Lamothe que se porta unanimement le choix de ses compagnons. Mais il déclina l’honneur qu’on lui faisait, alléguant qu’il était plus apte à combattre qu’à négocier. En réalité, il se souvenait de l’accueil qu’il avait reçu, quelques semaines avant, chez Imbert-Colomès à Lausanne. Il redoutait d’avoir été desservi dans l’esprit du Roi. Plus heureux que lui, Surville conservait tout son crédit, du moins Lamothe le croyait et lui-même le désigna pour remplir la mission dont chacun reconnaissait la nécessité.

Entre les innombrables victimes de ces temps calamiteux, le marquis Jean-Louis-Amand Tallard de Surville est une des plus dignes d’intérêt et de pitié. Il se distingue de ses farouches et parfois cruels compagnons par sa sensibilité, la grâce charmante de son visage, la noblesse de ses sentimens, la culture de son esprit, ses dispositions à la rêverie, la source poétique qui coule en lui et qu’il ne laisse se répandre en des inspirations tour à tour ingénieuses et touchantes qu’après les avoir revêtues d’une savante parure, empruntée à la langue du passé. A l’époque où sa présence était signalée parmi les conspirateurs du Midi, personne, si ce n’est sa femme et quelques amis, ne soupçonnait qu’il y eut en lui une âme de poète. Mais elle chantait déjà depuis longtemps. Souvent il trompait, en faisant des vers, la longueur de ses courses aventureuses. A l’indolence d’un créole il unissait l’énergie et la vigueur d’un paladin ; et son intrépide courage se revêtait parfois d’excentricité. En 1785, à Schlestadt, provoqué en duel par un Anglais, il ne voulut se battre qu’autant que ce serait avec l’appareil de la chevalerie. Les deux adversaires parurent sur le terrain, bardés de fer, casque en tête, armés de pied en cap comme les preux d’autrefois. Le combat terminé sans grand dommage, ils se réconcilièrent solennellement.

Le hasard, plus encore que sa volonté, avait fait de ce brillant gentilhomme, âgé de trente-cinq ans en 1795, un champion