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d’éluder leurs engagemens qu’ils ne manqueraient pas de multiplier. Ils ont du moins la notion de la force de l’étranger, que n’avaient pas les derniers conseillers de l’impératrice douairière.

Nous ne nous dissimulons nullement les difficultés de la politique dont nous venons seulement de poser quelques principes. La manière de les appliquer est susceptible de varier suivant les incidens et les développemens de la crise actuelle. Si la Cour persiste dans son aveuglement, si l’impératrice ne veut ni descendre du pouvoir ni se séparer de ses conseillers actuels, la situation peut devenir très difficile par le prolongement de la crise. Avec de la patience et de la fermeté, nous persistons à croire que le monde civilisé amènerait pourtant le gouvernement chinois à résipiscence ; malheureusement, il est difficile d’être patient à ce monstre hexacéphale qu’est en Chine le concert européo-américano-japonais ; il n’est même jamais sûr d’exister le lendemain : déjà l’Amérique se sépare ; chaque puissance a ses visées particulières. Cependant, si une seule persévérait dans une ligne de conduite énergique, alors même que les autres abandonneraient plus ou moins la partie, elle finirait probablement par amener la Cour à traiter sur des bases raisonnables ; l’Allemagne serait susceptible, après bien des fautes, de rendre ce service au monde civilisé. Le manque d’union pourrait ainsi n’avoir pas immédiatement des effets désastreux, mais il en aurait plus tard, la poursuite de leurs visées spéciales empêchant les nations de se montrer suffisamment sages et réservées.

En tout cas, à cette politique modérée qui consiste à relever le prestige de l’Europe aux yeux du gouvernement de Pékin et celui du gouvernement de Pékin aux yeux des masses, politique qui n’est peut-être pas très facile à pratiquer, à laquelle on ne voudra peut-être pas se résigner, il n’y a qu’une seule alternative, c’est la politique du partage. Que l’on recommence la chasse aux annexions et aux concessions, de nouvelles crises se produiront un peu plus tôt ou un peu plus tard, l’anarchie finira par régner, la patience de l’Europe sera moins longue, ses convoitises plus excitées encore que maintenant, et forcément l’on glissera au démembrement de la Chine.

Nous ne croyons pas qu’aucun homme raisonnable et connaissant l’Asie puisse, à la lumière du passé et du passé le plus récent, du passé de cet été, envisager sans trouble une pareille éventualité. Un certain nombre de nations européennes auraient