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a-t-il dit, il est impossible de savoir s’il faudra pour cela des années ou des générations. En attendant, la guerre se poursuit avec un surcroît d’atrocité. On brûle des fermes, on déporte des femmes et des enfans : mais M. Chamberlain a fait observer que, par bonheur, ces fermes étaient généralement très petites, et M. Balfour a doctement rappelé que, dans toutes les guerres, on avait usé de mesures exceptionnelles contre ceux qui y prenaient part sans être des soldats réguliers. Il a oublié certaines circonstances, pourtant historiques, où une population tout entière s’est levée contre l’envahisseur, et ce n’est pas à la population qui défend son indépendance avec tous ses moyens et toutes ses ressources que l’histoire a été habituellement sévère. Lorsqu’on songe que les Boers ne sont pas beaucoup plus nombreux que l’armée envoyée contre eux par l’Angleterre, on comprend qu’aucun ne reste en arrière, et que les femmes elles-mêmes protègent comme elles le peuvent leurs foyers menacés.

Il a donc été parlé de tout au Parlement anglais, excepté, croyons-nous, du voyage de M. Krüger, tant on considère l’incident comme négligeable en soi et insignifiant. Qu’importe à l’Angleterre que le malheureux vieillard, chassé de son pays par l’orage, poursuive à travers l’Europe, ou qu’il suspende à la Haye sa course errante ? Elle sait qu’il ne trouvera, et qu’il ne peut trouver nulle part un concours effectif, même un concours purement diplomatique. Dès lors, elle envisage froidement les péripéties de cette lamentable odyssée, et ne s’en émeut en aucune manière. Que le président Krüger soit reçu avec déférence comme il l’a été en France et en Hollande, ou congédié comme il l’a été en Allemagne, ces traitemens opposés la laissent indifférente. Elle poursuit son but, et se croit sûre de l’atteindre. Dans les attitudes diverses que prennent les autres, elle ne voit rien qui puisse lui nuire, ni la servir. L’empereur Guillaume n’a pas fait plus de bien à sa cause en refusant de voir M. Krüger que MM. Loubet et Delcassé ne lui ont fait de mal en le recevant avec considération. Tout cela, en soi, est peut-être également vain, mais laisse pourtant des impressions différentes : et nous avons, si l’on veut, la faiblesse de préférer celle qui se dégage de notre conduite à l’égard du président Krüger.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

FERDINAND BRUNETIERE.