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république elle-même, comme si la république était la propriété et le domaine privé de quelques-uns, et s’ils avaient le droit exclusif, ou même le moyen pratique, d’y admettre ou d’en exclure ceux qui leur plairaient ou leur déplairaient. On ignore quel est le saint Pierre laïque qui tient les clés de ce paradis tout terrestre. Ces disputes font pitié ! Que les républicains libéraux ou progressistes restent chez eux ; qu’ils y délibèrent entre eux, et qu’ils y préparent avec habileté et courage la défense des principes que les projets de loi du gouvernement mettent en péril. On croirait, vraiment, qu’ils se sentent incapables de rien faire à eux tout seuls, tant ils en ont perdu l’habitude ! Plus ils se tiendront, ou seront tenus à l’écart des radicaux et des socialistes ministériels, mieux cela vaudra. Qu’iraient-ils faire dans cette galère ? Qu’ils se résignent à être ce qu’ils sont, c’est-à-dire la minorité républicaine, et que, de la place qu’ils occupent à la Chambre, ils s’apprêtent à reconquérir la majorité, soit dans le parlement lui-même, soit dans le pays, ce qui est encore plus sûr. Qu’ils assurent au pays un refuge pour le moment, peut-être prochain, où les conséquences de la politique de M. Waldeck-Rousseau auront sérieusement alarmé les consciences et porté atteinte aux intérêts. Cela vaudra mieux que d’aller frapper à une porte étrangère, qui ne doit pas s’ouvrir pour eux.

Mais l’incident aura eu l’avantage de nous montrer, à propos de la loi sur les associations, la confiance arrogante que la majorité républicaine ou ministérielle a dans ses seules forces. Elle se croit sûre de triompher. Elle n’admet ni conciliation, ni transactions. Elle repousse, sans même y mettre beaucoup de formes, les autres républicains, dont elle croit n’avoir pas à tenir compte. Ne sont-ils pas en minorité ? La loi du nombre n’est-elle pas la loi suprême ? Ne suffit-il pas aujourd’hui d’avoir le nombre en sa faveur pour dédaigner ce que pourraient avoir à dire des amis de la veille, avec lesquels on a définitivement rompu ? Tel est le résultat qu’au bout de dix-huit mois a produit la politique d’un gouvernement venu, disait-il, pour faire l’union du parti républicain. Nous ne le regrettons pas, car nous sommes convaincus qu’après beaucoup de faiblesses et de défaillances, les progressistes ne peuvent se retremper et se reformer que dans la lutte : mais nous le constatons. La bataille qui va s’engager sera donc sans merci ; il faut s’y attendre, et nous nous y attendons. Le gouvernement essaiera peut-être de la modérer, il ne le pourra pas ; il sera entraîné par ses nouveaux amis, comme il l’a toujours été jusqu’ici. Est-ce à dire que cette bataille soit perdue d’avance pour les libéraux ? Non,