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cette thèse qu’il soutient et développe. Il proclame « l’impossibilité de fonder une morale sur les principes de l’évolution. »

Il reste le fidèle chevalier de la vérité darwiniste, mais on sent que cette vérité n’a plus, à ses yeux, ni l’efficacité, ni peut-être la valeur qu’il lui prêtait trente ans auparavant. Et, avec tout cela, il continue à lutter pour elle, s’acharnant sans cesse davantage contre l’adversaire que, dès le premier jour, il s’est choisi. J’ai dit qu’il avait cessé depuis longtemps d’être un naturaliste : c’est qu’il est, de plus en plus, devenu un théologien. Les Interprètes de la Genèse et les Interprètes de la Nature, M. Gladstone et la Genèse, l’Évolution de la Théologie, Une Trilogie épiscopale, les Lumières de l’Église et les Lumières de la Science, tels sont à présent les titres de ses Mémoires. Et l’un d’eux s’appelle les Gardiens du Troupeau de porcs ; et ces « gardiens du troupeau de porcs » sont les évêques, pasteurs, et autres écrivains chrétiens qui, croyant à l’évangile, admettent du même coup le miracle du troupeau de porcs lancé dans la mer. « Il y a vingt-cinq ans que je fais tout mon possible pour combattre et détruire l’amalgame idolâtre du judaïsme et du christianisme, » écrivait-il dans une lettre de 1879 ; mais, de 1879 à 1895, on peut affirmer qu’il ne s’est plus guère occupé d’autre chose. Reprenant un paradoxe de Strauss, il disait que le christianisme n’était « qu’un humbug, une mystification historique. » Il disait encore que « la clef du Christianisme était dans l’Épître aux Galates ; » et voici en quels termes il résumait le résultat de ses recherches sur les origines des dogmes chrétiens :


1o L’Église fondée par Jésus ne s’est nullement frayé un chemin, elle n’a nullement pénétré le monde : elle s’est éteinte dans le pays où elle est née, tout comme le nazarénisme et l’ébionisme ;

2o L’Église qui s’est frayé un chemin et qui s’est alliée avec l’État au IVe siècle n’avait pas plus de rapports avec l’Église fondée par Jésus que la religion des ultramontains n’en a aujourd’hui avec celle des quakers. Cette Église est simplement un mélange de judaïsme alexandrin, de mystagogie néoplatonicienne, et de vieille idolâtrie sous des dehors nouveaux.

3o Les sodalitia chrétiens n’étaient pas des corps religieux, mais des sociétés amicales, des corporations. Leurs membres étaient d’accord pour toutes les nécessités de la vie ; et la foule les haïssait comme aujourd’hui elle hait les Juifs dans l’Est de l’Europe, parce qu’ils étaient plus sobres, plus industrieux, meilleurs que leurs voisins.


C’est pour aboutir à des découvertes historiques et théologiques du genre de celles-là que Huxley avait délaissé, depuis trente ans, « l’étroit sentier de l’observation et de l’expérience ! » Et il ajoutait que l’existence de l’Église anglicane prouvait, mieux que tout autre argument,