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Oui, le livre de Darwin a, dès le début, frappé Huxley par la possibilité qu’il lui offrait d’opposer à l’hypothèse de la création une autre hypothèse. Le darwinisme a été un peu, pour lui, un moyen « d’ennuyer les curés : » car ce savant avait, sous toutes ses incomparables qualités de savant, l’humeur batailleuse d’un gamin de Londres. Et tout de suite il s’est attaché à mettre en lumière, dans le darwinisme, un côté que Darwin avait cru devoir laisser dans l’ombre, et qui avait de quoi être particulièrement désagréable aux « curés : » il a proclamé, au nom de Darwin, que l’homme descendait du singe. Il l’a proclamé une première fois dans un article anonyme du Times, le 26 décembre 1859 ; mais surtout il l’a proclamé, dans des circonstances désormais historiques, au Congrès pour l’Avancement des Sciences, tenu à Oxford en 1860. L’évêque Wilberforce, harcelé par les contradictions des jeunes darwinistes, s’était livré à une plaisanterie d’un goût fort douteux. Il avait demandé à Huxley si c’était par son grand-père qu’il descendait du singe, ou par sa grand’mère. Sur quoi Huxley dit tout bas à son voisin la parole biblique : « C’est le Seigneur qui le livre entre mes mains ! » Puis, se levant, il lança à l’évêque cette réponse, qui fit plus, peut-être, pour la diffusion du darwinisme, que toutes les dissertations et toutes les controverses : « Si l’on me demande qui, d’un pauvre animal à l’intelligence rudimentaire, ou d’un homme de grandes aptitudes et de haute situation, mais ne se servant de ces dons que pour écraser les humbles chercheurs de la vérité, si l’on me demande qui des deux je préférerais avoir pour aïeul, je n’hésiterai pas à choisir le premier ! »

Depuis lors, les travaux scientifiques de Huxley prirent une direction nouvelle : ils n’eurent plus pour objet que d’établir, de confirmer, et de répandre la théorie de la descendance animale de l’homme. C’est à la « Question du singe » qu’il consacra ses leçons populaires de 1861, c’est cette question encore qu’il traita en 1862 à Édimbourg dans une série de conférences qui firent grand bruit. Il allait de ville en ville, d’institut en institut, prêchant l’évangile darwiniste pour la confusion des pasteurs. Et en vain Darwin le conjurait de revenir à ses recherches personnelles, de ne pas « s’épuiser » dans cette propagande ; en vain son ami Hooker lui écrivait : « Écoutez le conseil d’un observateur de sang-froid : retournez à vos études de pure histoire naturelle, et laissez les problèmes philosophiques se débrouiller sans vous ! » Il n’écoutait ni Darwin, ni Hooker, et se contentait de répéter à tous ses correspondans : « Ah ! si je pouvais me casser une jambe, que de bon travail je ferais pour la science ! »