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on sait que les médecins anglais ont à faire leur apprentissage comme les dentistes ou les infirmiers), il avait suivi les cours de sciences du Sydenham College. Il avait ensuite passé fort brillamment ses examens de médecine à l’Université de Londres, était entré, en qualité d’interne, dans un hôpital de la marine royale, et, en mai 1846, avait obtenu une place de médecin-naturaliste à bord d’une frégate, la Rattlesnake, chargée de l’exploration géographique, géologique, botanique et zoologique de la Nouvelle-Guinée.

Ce voyage d’exploration avait duré quatre ans, et avait été pour le jeune naturaliste une source précieuse d’observations et de découvertes. Huxley avait reconnu, par exemple, que le corps des méduses était formé de deux membranes superposées, pareilles à celles qui se trouvent chez l’embryon vertébré : et du même coup il avait mis en lumière l’affinité naturelle des ascidiens et des vertébrés. Il avait examiné, décrit, et classé de nombreuses espèces de crustacés, d’annélides, de mollusques, jusqu’alors ignorées. En un mot, il avait enrichi de tant de fruits nouveaux une des branches les plus importantes de l’histoire naturelle que, moins d’un an après son retour, son nom était devenu célèbre dans le monde des savans anglais. Il avait été élu, en 1851, membre de la Société Royale, qui lui avait décerné, l’année suivante, la plus haute récompense dont elle disposât. En 1854, ayant été appelé à faire partie d’une commission chargée de l’étude géologique des côtes de la Grande-Bretagne, il s’était livré à une série de recherches paléontologiques qui avaient achevé d’attirer l’attention sur lui. Il était devenu l’ami de Forbes, de Wallace, de Lyell, de Tyndall, qui tous le tenaient pour le mieux doué d’entre eux, et lui prédisaient une gloire au moins égale à celle de Cuvier. Aussi bien possédait-il en effet les dons les plus rares et les plus précieux : une capacité de travail extraordinaire, une très grande justesse et promptitude d’observation, une intelligence merveilleusement claire, précise et active, sans compter un réel talent d’écrivain, et même d’orateur. Et il poursuivait ses recherches avec une patience, une conscience admirables, soumettant tous les mois à ses collègues de la Société Royale un ou deux mémoires, pleins de faits et d’idées, en même temps qu’il préparait, à loisir, un grand Manuel d’Anatomie comparée et une Histoire naturelle maritime de la Grande-Bretagne.


Telle était la situation de Thomas Huxley, lorsque, en novembre 1859, son ami Charles Darwin lui envoya un exemplaire de l’ouvrage qu’il venait de publier sur l’Origine des Espèces. Darwin, qui partageait