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laisse-moi seulement croire qu’aucune n’y sera plus sensible que celle qui fut ta créature ! » La première édition des Rymes de gentile et vertueuse dame Pernette du Guillet, lyonnaise, a paru pour la première fois en 1545, chez Jean de Tournes, et ainsi précédé de deux ans la publication des Marguerites de la Marguerite des Princesses, 1547. Si nous en faisons la remarque, c’est qu’il serait injuste d’oublier la part que la reine de Navarre a eue dans ce mouvement d’émancipation du génie féminin qui, dès le règne d’Henri II, allait mêler aux inspirations d’une littérature jusqu’alors toute masculine quelque chose des grâces et de la douceur d’un autre sexe.

Là peut-être, en effet, se résume l’influence de l’école lyonnaise ; — et là est sa gloire. On a entendu Rabelais parler de la femme, ou plutôt on ne l’a point entendu, car nous ne l’avons point cité, mais nous avons dit comment il en avait parlé. C’est pourquoi, dans un livre bizarre : le Fort inexpugnable de l’Honneur du sexe féminin, d’un certain François Billon, qui parut en 1555, mais qui fut écrit à Rome en 1550, et dont l’objet n’est autre que de venger la « réputation du sexe peu prisé, » les dames de Lyon occupent, à elles seules, autant ou plus de place que celles de tous les autres endroits du royaume, et, je crois, que celles même de la cour de France. C’est justice ; et aucunes, assurément, n’ont fait plus dans cette première moitié du XVIe siècle pour l’honneur ou la dignité de leur sexe. Elles ont fait mieux ; et ce qu’avait été Laure de Noves pour Pétrarque, ou Béatrix Portinari pour Dante, elles le sont devenues pour le poète et pour l’artiste : la Délie de Scève, l’Olive de Du Bellay, la Pasithée de Pontus, la Cassandre ou l’Hélène de Ronsard. L’idéale beauté dont on rêve, et qui nous fuit, elles en ont à leurs yeux précisé le contour et comme incarné l’image en leur personne. De l’exaltation du désir d’amour ou de son épuration, elles ont fait la source même de l’inspiration poétique. Elles ont réussi, — comme on l’a dit énergiquement et admirablement, — « à faire dériver les hauts instincts moraux non de la raison, mais du cœur même et des entrailles. » C’est ce qu’elles ont ajouté du fond même de leur race ou de leur tempérament local à ce qu’il y a souvent de trop extérieur dans le pétrarquisme lui-même. Grâce à elles et par elles, dans la société comme dans la littérature française la femme a pris un rang qu’à moins d’être souveraine, elle n’avait tenu ni dans la littérature, ni dans la société de