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pays de Savoie, de Dauphiné, d’Italie, d’Allemagne[1] » en avait fait le plus grand marché de l’Europe entière : totius Europæ celeberrimum emporium. Des exilés italiens, — Florentins, Lucquois, Vénitiens, Génois, des Albizzi, des Pazzi, des Gondi, des Gadagne, — y avaient apporté, avec le génie de la banque et l’industrie des arts de la soierie, des goûts, des habitudes, une manière de « bâtir, » et de vivre, et de penser, qui se sentait de l’esprit de la Renaissance. Le luxe, un peu lourd encore, n’était nulle part plus répandu. Les imprimeurs n’étaient nulle part plus nombreux, ni plus célèbres : Sébastien Gryphius, Guillaume Roville, Jean de Tournes, Etienne Dolet, François Juste, le premier éditeur du Gargantua de Rabelais. Et l’imprimerie, comme l’on sait, était alors un art et même une science. Et pourquoi n’ajouterions-nous pas à tous ces noms, si chers encore aux bibliophiles, celui de Jean Grolier, « trésorier général des troupes françaises, » Lyonnais de famille et de naissance, ami de Budé, « Mécène des gens de lettres, » — ainsi l’appelle Cælius Rhodiginus, — protecteur des Alde[2], et dont un grave historien, le président de Thou, un homme qui savait le prix d’une belle impression et d’une bulle reliure, a pu dire, dans son Histoire, « que les plus belles bibliothèques de Paris et autres endroits du royaume ne recevaient d’ornement que des livres de Grolier. » C’étaient ceux qui portaient la devise ou l’ex libris bien connu : Grolerii Lugdunensis et amicorum.

Du mélange ou sous l’action de toutes ces influences, un tempérament local s’était formé, — chose assez rare en France ! — et dont les traits caractéristiques, s’ils étaient d’ailleurs analogues à son long passé, ne s’étaient toutefois jamais manifestés avec autant d’évidence qu’alors. Au contact de l’Italie, le tempérament lyonnais avait pris conscience de lui-même ; il avait reconnu sa vraie nature ; et, de l’italianisme, pour se l’approprier, ou plutôt pour le transformer en soi-même, il n’avait pris, comme autrefois, que ce qui lui convenait. A Lyon, dans la ville de richesse et de luxe, de commerce et d’art, de travail et de ferveur, qui se souvenait toujours d’avoir été la ville de Vettius Epagathus et de sainte

  1. Ce sont les termes des Lettres Patentes de 1419, instituant « deux foires franches » en la ville de Lyon. Cf. Monfalcon, Histoire de Lyon, 2 vol. in-4o ; Paris et Lyon, 1847. Guilbert et Dumoulin.
  2. Voyez dans une belle édition du De Asse, — Venise 1522 — l’épitre dédicatoire de François d’Asola, beau-frère d’Alde l’ancien, à Jean Grolier : Christianissimi Gallorum regis secretario et Galliarum Copiarum quæstori.