C’est déjà la doctrine de la Défense et Illustration de la Langue françoise. Et on y trouve enfin, comme les premiers vers de Ronsard, les premiers vers aussi de Joachim du Bellay. Ils sont adressés : À la ville du Mans, qu’ils invitent à cesser de « prendre gloire en ses Grébans, » pour « donner le prix « à son Peletier :
Cesse, le Mans, cesse de prendre gloire
En les Grébans, ces deux divins esprits…
N’est-on pas tenté de conclure de là que, si Ronsard et du Bellay ne se connaissaient pas avant la rencontre que la légende a placée en 1548, ce fut Jacques Peletier qui les présenta l’un à l’autre ? Ronsard revenait de Gascogne, où l’on ne sait ce qu’il était allé faire. Joachim du Bellay étudiait le droit à Poitiers. Orphelin de père et de mère, élevé par un frère qui ne semble guère s’être occupé de lui, sa jeunesse avait été solitaire et maladive, mélancolique et désœuvrée, dans son « petit Lire » sur ses rives de Loire. La disgrâce ou l’éloignement de son puissant parent, le cardinal du Bellay, invité par le roi Henri II à prendre le chemin de Rome (1547), venait de lui enlever, pour un moment du moins, le protecteur sur lequel il avait compté pour l’aider à faire son chemin dans le monde. Il s’en consolait en composant des vers. Ronsard, gentilhomme et poète comme lui, n’eut sans doute pas de peine à lui persuader de quitter les lois pour la poésie. Du Bellay l’en crut ; ils prirent ensemble le chemin de Paris ; ensemble ils se mirent sous la discipline de Daurat ; et, de concert avec Baïf, s’exaltant les uns les autres, ensemble ils constituèrent la Brigade, puis la Pléiade. C’était, dit-on, le nom et le signe sous lequel autrefois s’étaient réunis sept poètes de l’époque des Ptolémées : Lycophron, Théocrite, Aratus, Nicandre, Apollonius, Philippe, et Homère le jeune. La nôtre fut complète quand à Daurat, Ronsard, du Bellay et Baïf se furent adjoints Pontus de Tyard, Etienne Jodelle, et Rémy Belleau[1].
Quels caractères, ou quel idéal avaient-ils donc en commun ? Ils ne le savaient pas encore eux-mêmes. Ils ne le sauront, ils ne s’en rendront compte qu’après la publication de la Défense et
- ↑ On consultera sur l’Alexandrinisme, dont la connaissance ou du moins quelque teinture est indispensable à l’étude de la Pléiade française : Auguste Couat : la Poésie alexandrine sous les trois premiers Ptolémées, in-8o ; Paris, 1882 Hachette ; — Franz Susemihl : Geschichte der Griechiscken Litteratur in der Alexandrinerzeit, 2 vol. in-8o ; Leipzig, 1892, Teubner ; — et Georges Lafaye, Catulle et ses modèles, in-8o ; Paris, 1894, Imprimerie nationale.