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les professions, — comment se flatter de la pouvoir faire totale, si les instructions données aux agens chargés du dernier recensement de l’industrie en Belgique n’énumèrent pas moins de cent soixante-douze professions ou métiers, et si le projet de nomenclature présenté au Congrès international de statistique, à Chicago, en 1893, allait bien au-delà, jusqu’à cinq cents, exactement jusqu’à quatre cent quatre-vingt-dix-neuf[1] ?

Ce serait folie de songer, même un instant, à suivre et à prétendre débrouiller, dans l’écheveau des faits sociaux, le cas personnel de chacun des millions d’hommes qui vivent d’un millier de vies dans chacune de ces cinq cents professions. Quelque objection qu’on puisse donc élever contre le procédé des « moyennes, » notamment qu’elles ne correspondent à rien dans la réalité, et que le seul être qui n’existe pas est justement l’être moyen qu’elles enfantent in abstracto, malgré tout, on sera bien souvent obligé d’y recourir. De même pour les monographies. S’il est impossible, — et il l’est parfaitement, — de prendre un à un tous les ouvriers et de les accompagner pas à pas, à travers toutes les implications et toutes les imbrications du travail, de ses circonstances, de ses maladies et des remèdes qu’on y peut chercher, force sera bien de s’en tenir, pour chaque profession, à un ouvrier-type. Mais, comme il serait impossible encore, ne fit-on que cela, de le faire pour toutes les professions, il faudra donc, en ce fourmillement de cinq cents métiers, s’arrêter à quelques professions-types, et se contenter de dresser comme des monographies d’espèces.

Sans doute on n’obtiendra ainsi qu’une approximation par simplification, mais, d’approcher par simplification de la vie et de la vérité sociales, c’est tout ce qui nous est permis ; nous ne pouvons jamais plus ; et même, pour en approcher seulement, que de simplifications déjà n’a-t-il pas fallu faire ! Si le travail est comme un phénomène composé de phénomènes qui, de l’un à l’autre, et tous du premier au dernier, s’appellent, s’engendrent, s’enchaînent et s’engrènent, et qui, pour le même ouvrier, sont en une mutuelle et perpétuelle interdépendance, une interdépendance non moins étroite relie entre eux tous les ouvriers, et une autre, les ouvriers aux patrons dans la même profession. Puis, combien d’autres interdépendances encore : des diverses

  1. Voyez le Bulletin de l’Institut international de statistique, t. VIII, 1re livraison, 1895 ; Rapport du Dr Jacques Bertillon.