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avec laquelle ils collaboraient dans l’usine, les y portait bon gré mal gré. Pendant la première moitié du siècle elle les y porta contre la loi, imbue de cet individualisme extrême qui était l’esprit de la révolution politique ; puis, lorsque, la révolution économique s’y mêlant, le législateur et la législation furent changés, elle les y porta avec et par la loi. Ils avaient eu d’abord à remonter le courant ; ensuite ils l’avaient détourné, et ils le descendaient, en s’y laissant aller.

L’association réapparaissait donc, nécessaire et fatale, en quelque sorte, comme l’effet mécanique du jeu d’une force naturelle ; aussi pourrait-on dire que, si cette force restait constante, et tant qu’elle le resterait, le sens de l’évolution sociale, comme elle, demeurerait constant ; que l’association jouerait le plus grand rôle dans les constructions, soit politiques, soit économiques, de l’avenir ; et que l’Etat lui-même, à la longue, ne serait guère plus que l’association des associations. En ce cas-là, ceux qui dès maintenant parlent d’une « souveraineté future » des syndicats professionnels confédérés[1], bien que sans doute ils en aient parlé un peu tôt, verraient peut-être leur hardiesse justifiée, et peut-être n’auraient rien avancé de trop téméraire.

Seulement cette force restera-t-elle constante ? Sera-ce toujours elle qui agira ? Sera-ce toujours elle qui fera agir ? Cela revient à demander : la machine par excellence, le grand moteur industriel, sera-ce toujours la machine à vapeur ? Et si, comme les meilleurs juges ne sont pas éloignés de le croire, la vapeur est destinée à disparaître ou à déchoir un jour, si un jour elle doit faire place à d’autres forces, les forces de demain agiront-elles dans la même direction sociale ?

La force électrique, par exemple, n’agira-t-elle point tout différemment ? Là où la vapeur avait concentré, ne fournissant l’énergie que sur place, auprès de la chaudière, il se peut que l’électricité déconcentre, transportant l’énergie à distance et distribuant le mouvement à domicile. Mais le mouvement à domicile, ce serait la fin de l’usine, et la fin de l’usine, ce serait la dispersion des ouvriers que la vapeur avait rassemblés autour de l’usine. Moins étroitement groupés par le fait, les ouvriers éprouveraient très probablement beaucoup moins le besoin de s’associer pour le droit. En contact moins immédiat et moins fréquent les

  1. Voyez J. Paul-Boncour, le Fédéralisme économique, 1 vol. in-8o ; Alcan, 1900.