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idée-force l’avait tiré de la corporation, la matière-force le rejetait dans l’association. Non seulement la vapeur, dans une même entreprise, concentrait le travail autour d’un moteur commun ; mais, dans un même genre d’industries, se concentraient les entreprises, les plus grandes absorbant peu à peu les plus petites, et peu à peu s’élargissant en cercles de plus en plus vastes ; cependant que les autres causes de réunion des industries, soit du même genre, soit de genres divers, en un même endroit, ne cessaient pas, pour leur part, de concourir au même effet ; causes de toute espèce : qualités physiques ou chimiques du sol, de l’air, de l’eau, position géographique dans une baie bien abritée, sur l’estuaire d’un fleuve navigable, population déjà agglomérée, pouvant fournir à bon marché une main-d’œuvre abondante ; avantages économiques enfin, tels, pour n’en citer qu’un, que la facilité et la rapidité des communications et des transports[1].

Ainsi, par la concentration du travail dans une même entreprise, des entreprises dans une même industrie, des industries dans un même lieu, se reformaient et se resserraient des groupemens, qu’il est bien permis de qualifier de naturels, étant le produit de forces naturelles. L’homme, que la révolution politique avait individualisé quand elle l’avait chassé hors de la corporation, de l’ordre ou de la classe, la révolution économique, à son tour, et aussitôt après, venait le resocialiser en le poussant, qu’il le voulût ou non, dans l’association, dans une association qui n’est libre que par rapport justement à la corporation d’autrefois, moins fermée qu’elle, mais comme elle, quoique pour d’autres motifs, quasi inéluctable.

À cette association qui de plus en plus devait se rapprocher de la corporation, — mais d’une corporation ouverte, sans exclusion ni privilège à l’entrée, — il était d’autant plus difficile que les ouvriers pussent se soustraire, et d’ailleurs ils en auraient d’autant moins l’envie, que, le capital comme le travail ayant pris quelque chose de collectif, en face du capital associé, le seul contrepoids, la seule chance d’équilibre, la seule garantie de justice pour eux, ne pouvait être que dans le travail associé. Mais, au contraire, groupés par le fait, comment n’eussent-ils pas aspiré à s’associer pour le droit ? La nécessité elle-même les en pressait ; elle-même, la force naturelle dont ils étaient les conducteurs, et

  1. Voyez, de ces causes de la concentration industrielle, une analyse très complète et très pénétrante, dans le livre de M. André Liesse, le Travail, p. 195-196.