Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de descente vous plongent en pleine température saharienne. A mi-côte, c’est Nice ou l’Algérie.

Et maintenant, après l’arrivée et le repas aux lumières, devant les ténèbres de ces vallées inconnues, contre les murs blancs de cette rustique demeure tout étonnée de nous, nos fauteuils se balançaient, cadençant nos songeries. Ah ! la volupté du silence, quand les cigares rougeoient, qu’au ras des prés obscurs scintillent les zigzags des lucioles, que les cocuyos passent, à l’angle de la maison, dardant leurs deux points de phosphore ! Là-haut palpitent Argo, le Scorpion, la Petite Ourse. On ramasse dans un regard la Voie Lactée, le Chemin Saint-Jacques, comme l’appelaient nos pères, Orion, tout un embrasement d’étoiles. Sous les masses sombres des bosquets prochains halette le sommeil universel.


Et la féerique, la mille et deuxième nuit, comme dans le conte indien, berce, enveloppe encore le monde de ses ailes chauves. Emplie de nos regrets, ivre de nos frissons, elle aime, elle soupire, l’oublieuse ombre !

J’ai poussé mes volets dans la pastorale du matin. O sourire, tout à coup, ô lumineuse joie ! Et, en m’avançant sous la vérandah, surpris, féru de tout ce qu’il y avait hier soir au fond de ces ténèbres, une fois de plus je me demande : pourquoi essayer de traduire ? pourquoi se répéter ? Qu’ajouter à la description de ces aurores si invariablement mélodieuses, sinon quelques nuances dans l’état d’âme de leur spectateur ? Et encore, est-il bien sûr que les notations de voyage deviennent beaucoup plus tolérables quand elles mêlent beaucoup de ce multiple moi aux perspectives de la nature ? Enfin, quelques instans je suis demeuré là, sur ce balcon de bois, sans penser, les mains appuyées. Mais, insensiblement, il se dressait de mon engourdissement, le grand contrefort des Andes qui, juste en face, remplit l’horizon en s’abaissant dans l’éloignement de notre gauche. Une coulée de lumière baigne ses flancs un peu vaporeux, un peu fantomatiques encore. Elle les magnifie, elle les recule des ténèbres où, tardivement, nous demeurons plongés. On dirait un fond de scène sublime vu de la pénombre du parterre. Elle se précipite obliquement à nous vers ces contre-bas perdus où les dentelures de la grande chaîne s’affaissent contre le ciel ; et les deux collines qui nous enserrent latéralement font deux caps d’ombre sur son torrent.