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lire à l’avers : « Napoléon empereur, » et au revers : « République française. » Et la chose, du reste, a été publiquement exprimée. Le spirituel ministre de France me citait l’autre jour ce mot entendu par lui, naguère, en pleine Chambre chilienne. C’était avant la chute de don Pedro : « Messieurs, disait l’orateur, il n’y a dans le Sud-Amérique que deux pays qui vaillent d’être nommés, l’Empire du Chili et la République du Brésil. »

Quoiqu’il en soit, les Colombiens paraissent sincèrement attachés à cette forme de République. Je les soupçonne de tenir surtout à l’étiquette, au nom, qui se confond pour eux avec des idées de progrès, avec une conception vague de gouvernement moderne. Les visées à la Warwick qu’on a prêtées à Bolivar sont mortes avec lui. Et l’on montre même ici la fenêtre par où son ami Ospina le fit s’évader, le pont sous lequel il se réfugia pour éviter de mourir avec elles.

Je me représente à peine la stupeur, l’indignation, le haro populaire, les dénonciations de coup d’Etat qui accueilleraient chez nous un Président décidé à révéler un peu sa personnalité. Ici, tout est soumis à la volonté ou au veto de ce magistrat suprême. Tout s’élabore dans son cabinet, à l’ombre de son pouvoir discrétionnaire. Il gère à sa guise les deniers publics, n’en devant compte à personne ; il dispose, de prérogatives qui feraient hurler les plus conservateurs de la conservatrice Allemagne. Enfin, il se soucie assez peu du Congrès, sorte de grand conseil municipal de la Colombie, qui se réunit six mois tous les deux ans pour opiner généralement du bonnet à tout ce que lui soumet un Conseil des ministres bien stylé.

Il apparaît fort peu, du reste, le Président, M. Caro[1]. Il ne sort presque jamais de son palais San Carlos. On le dit abstrait volontiers en des rêves virgiliens. J’ai lu de ses vers qui s’alignent avec la facilité brillante, abondante et non sans grâce des Sud-Américains. Et voilà comment un peuple littéraire a choisi un poète pour pilote de ses destinées !

Quant à la différence essentielle entre les deux principaux groupemens politiques, conservateurs-gouvernementaux et libéraux-opposans, elle ne repose guère en somme que sur une conception divergente, — moderne encore, — des rapports entre l’Eglise et l’Etat. Mon interlocuteur de ce matin me priait en outre

  1. Il a eu deux successeurs depuis l’époque où nous écrivions ces lignes : M. Manuel Sanclemente et M. Marroquin.