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abandonnait dans les ondes son paillettement magnifique pour ressortir tout nu, déchu, homme comme nous tous. Ainsi, s’étant humilié devant le Dieu qui l’avait reconnu, qui avait accepté son hommage, il apparaissait consacré comme son fils même, héritier du prestige divin. De là naquit en partie cette légende de l’Eldorado, ruine de tant de conquistadors, de Quesada le premier, qui, prenant le Pirée pour un nom d’homme, s’en allèrent poursuivre jusque chez les Omaguas, sur les rives de l’Amazone, ce rêve insaisissable, un royaume fabuleux gouverné par le Roi Doré.

La conclusion de la légende appartient à notre siècle. Une compagnie américaine s’était formée pour assécher ce lac de Guatavita. Mais, inaccessible, inépuisable, la profondeur magique conserva ses trésors, comme Vigo avait gardé les siens.

Il n’est pas jusqu’au souvenir qu’on donne aux abolis qui n’appelle, à son tour, celui de leurs oppresseurs. Je ne serais pas étonné si les ombres de Fredermann ou de Luis de Lugo, Adelantado du Nouveau-Royaume, revenaient se promener, par les nuits bien sombres, devant le portail de San Francisco ou sur la hauteur de Monserrate. Car c’est un des traits particuliers de ces réminiscences qu’en accordant sa pitié aux vaincus, l’on ne puisse s’empêcher d’admirer le panache de ces horribles et héroïques conquérans.

Hier, j’étais entré dans la cathédrale ; et là, debout sous la lueur qui tombait des vitraux, moitié conscient et moitié rêvant, comme Washington Irving devant le manuscrit de l’abbaye de Westminster, je faisais comparaître leurs âmes errantes encore sous ces voûtes claires. Je voyais, fantômes silencieux entre les piliers, s’arrêter, comme il y a quatre siècles, tous ceux qui, sur ces dalles, avaient agenouillé leurs armures ; tous, ceux de la conquête et ceux de la grande ruée, ceux qui maniaient l’épée et ceux qui remuaient l’or, les Venero de Leyra, les Diaz de Armendaris, les d’Ezpeleta, les Manuel de Guirrior ; et le vice-roi-évêque, souverain à crosse et à mitre ; et les rudes chercheurs de métal, les vrais vautours des Andes, les Juan de Cespedes, les Alfonso de Herrera, les José d’Elhuyar, qui, à la poursuite d’un pays merveilleux, avaient découvert le Sinù, la Sierra Nevada, le Choco, l’Antioquia. Et tous ressuscitaient ces ères de croisade et d’épopée, ces temps picaresques de l’Audience Royale et de la Présidence, où Bogota recevait du roi d’Espagne le titre de ciudad muy noble y muy leal. Et la plupart, pourtant, baissaient la